Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rose pour embrasser sa nouvelle compagne, et lui dit ingénument : — Voulez-vous que nous soyons amies ? Je t’aime de tout mon cœur !

Au lieu de lui rendre son baiser, Félise la regarda d’un air étonné, et lui répondit en détournant la tête : — Je ne vous connais pas.

Ce mot fit rire toute la communauté.

— Voyez la petite sauvage ! s’écria une des religieuses ; certainement, elle a été élevée au fond d’un bois, parmi les loups...

— Oh ! non, non, madame ! interrompit Félise avec une naïve indignation ; je demeurais à Toulouse, dans une belle maison, avec maman, qui était une grande dame, et puis ma tante Philippine m’a emmenée...

— Je croyais qu’elle avait perdu sa mère au moment de sa naissance ? dit la supérieure en regardant la sœur Geneviève.

— La pauvre dame est morte bien jeune en effet, balbutia celle-ci ; pourtant Félise peut avoir gardé d’elle un souvenir confus.

— Et comment s’appelait-elle, votre maman, mon agnelet ? demanda une des révérendes mères pour dire à son tour quelque chose.

À cette question, la novice devint pâle, et regarda Félise avec angoisse. L’enfant hésita, chercha un moment, et répondit un peu honteuse :

— Je ne me souviens pas.

Alors la sœur Geneviève respira plus librement, et, revenue de son trouble, elle dit à la supérieure : — Ma chère mère, je vous supplie d’excuser toutes ces hardiesses ; Félise est une enfant gâtée.

— Bien, bien ; nous l’élèverons mieux, répondit la supérieure avec indulgence ; il n’est point de naturel si rebelle qui ne s’apprivoise chez nous. Le ciel nous a donné sur ce point des talens particuliers.

On se leva pour dire les grâces. C’était l’heure de la récréation, et, en sortant du réfectoire, les religieuses descendirent au jardin. Un parterre assez vaste, et dont des bordures de buis dessinaient les compartimens, s’étendait le long de la façade ; il était entouré de bosquets profonds, coupés de sentiers qui formaient une espèce de labyrinthe. Les grands arbres, maintenant dépouilles, dépassaient les murailles et bornaient la perspective. Pendant la belle saison, lorsque des masses de feuillage achevaient de cacher le faîte des habitations voisines, lorsque l’on n’apercevait au-dessus de ces cimes verdoyantes que le ciel inondé de lumière ou traversé par de légers nuages, l’on aurait pu se croire dans une étroite et solitaire vallée plutôt qu’au centre de la moderne Babylone.

En ce moment, le pâle soleil de décembre réchauffait faiblement L’atmosphère et fondait le givre qui pendait aux rameaux ; le vent, moins âpre, avait séché le sable des allées ; le rude hiver laissait souffler un moment la douce haleine du midi. Les religieuses se dispersèrent dans le parterre. La sœur Geneviève s’assit sur le perron, au milieu des pensionnaires, qui sautillaient autour d’elle comme une volée d’oiseaux