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le coffret sur les genoux, et, par une seconde impulsion donnée à la machine, l’envoya dans l’intérieur du monastère.

Alors la sœur Geneviève se rapprocha de la grille, et, faisant un signe d’adieu à l’étrangère, elle lui dit d’un ton doux et navré : — Nous ne nous reverrons jamais en ce monde... Que Dieu vous console... Que sa miséricorde nous prenne en pitié toutes deux !...

Le rideau noir se referma ; la jeune religieuse se retira avec l’enfant, et le bruit de leurs pas se perdit dans le fond du parloir.

L’étrangère demeura encore un moment les yeux fixés sur la grille et comme absorbée dans un silencieux désespoir ; puis, sans proférer une parole, elle se laissa emmener par Suzanne.

Le vieux serviteur était déjà de retour, et attendait à la portière du carrosse.

— Eh bien ! lui dit Suzanne, où allons-nous maintenant ?

— A deux pas d’ici, répondit-il en désignant une porte cochère percée dans un mur sans fenêtres qui servait de clôture à une cour. J’ai loué cette maison ; mademoiselle n’a qu’à traverser la rue pour se trouver chez elle.


II.

La cloche venait de sonner le dîner, et la communauté entrait au réfectoire lorsque la sœur Geneviève parut, tenant Félise par la main. A l’aspect de cette jolie petite fille qui s’avançait tout étonnée, relevant le coin de son tablier garni de dentelles et faisant la révérence avec une politesse enfantine, les bonnes sœurs firent des exclamations de joie. L’arrivée d’une nouvelle pensionnaire était un événement qui préoccupait toute la maison pendant huit jours ; c’était, quel que fût son âge, un membre nouveau affilié à la famille spirituelle de l’Annonciation, car, sauf de rares exceptions, les jeunes filles élevées chez les Annonciades célestes y prenaient le voile, toute leur éducation ayant été dirigée à cette fin. C’était un établissement convenable pour les demoiselles de qualité qui n’avaient qu’une petite dot ; la prévoyance des parens leur ménageait cet asile, où elles entraient avant d’avoir seulement entrevu le monde, et où leur vie s’écoulait facile, nulle et oubliée.

La supérieure prit Félise sur ses genoux et dit en la baisant au front : — Voici un agnelet de plus dans notre troupeau ; c’est encore un présent de monseigneur d’Alais, mes chères sœurs ; nous lui devions déjà de posséder la sœur Geneviève, et, en vérité, nous ne saurions en avoir trop de reconnaissance envers sa grandeur.

— Oh ! ma chère mère, c’est moi qui dois être pénétrée de reconnaissance pour la protection que m’accorde ce saint prélat, balbutia la sœur Geneviève.