Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

levées au ciel : — Madame, rendez grâce à Dieu,… la chère petite n’est pas blessée,… elle n’a pas une seule égratignure… C’est un miracle !

En effet, la petite fille, debout au milieu de la boutique, babillait déjà en regardant, avec une admiration mêlée de convoitise, les joujoux et les sucreries qui foisonnaient sur les étagères. La voyageuse la considéra un moment sans l’embrasser, sans la toucher seulement ; puis elle tomba pâle et oppressée sur un siège, en disant d’une voix éteinte : — Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! j’ai cru qu’elle était morte !…

Elle passa la main sur son front mouillé d’une sueur froide, et parut lutter un instant contre cette violente et terrible émotion ; puis, y succombant, elle s’affaissa sur elle-même et tomba sans connaissance entre les bras de sa suivante.

L’on s’empressa autour d’elle : les bonnes femmes qui se trouvaient là l’inondèrent d’eau de mélisse. La marchande lui criait tout attendrie : — Madame, remettez-vous ; l’enfant n’a aucun mal, je vous le jure !… Regardez-la donc, cette mignonne, et vous verrez qu’elle est sortie saine et sauve de dessous les pieds des chevaux. Elle n’a pas eu peur seulement, la pauvre innocente. Venez donc ici, ma belle petite ; venez embrasser votre maman…

— Ma maîtresse n’est pas la mère de cette enfant, interrompit la suivante d’un ton sec ; ma maîtresse n’est pas mariée.

— Pardon ; il n’y a pas de mal, répondit civilement la marchande ; la pauvre demoiselle s’est pourtant évanouie de saisissement.

— Elle est si affaiblie, si malade ; elle n’avait pas besoin de cette dernière secousse, murmura la suivante en jetant un regard presque irrité sur l’innocente créature, cause de cette scène.

Cependant la voyageuse avait repris ses sens, et, rouvrant les yeux, elle murmura :

— Je suis mieux, je suis bien à présent. Allons, Suzanne, il faut faire avancer la voiture. Où est Balin ?

— Ici, mademoiselle ; je suis ici, répondit le vieux serviteur en s’avançant.

— C’est bien ; occupez-vous de la petite, reprit l’étrangère ; menez-la par la main jusqu’au carrosse.

Elle fit ces recommandations avec l’accent d’une pénible sollicitude, mais sans jeter un regard sur l’enfant miraculeusement préservée. Les femmes qui l’entouraient la considéraient avec une curiosité mêlée d’étonnement. C’était une belle personne de vingt-cinq ou vingt-six ans, blonde, d’une taille élancée et d’un aspect imposant. Ses traits, un peu effilés, avaient une expression de tristesse sévère ; son regard était froid et distrait ; elle avait le geste lent, le maintien accablé que laissent les longues souffrances morales ; pourtant l’étincelle d’une pensée active, véhémente, brillait encore dans ses grands yeux bruns. Elle se leva,