Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les rideaux qui remplaçaient les glaces. L’un de ces rideaux entr’ouverts laissait apercevoir les voyageurs. Dans le fond du carrosse, une dame, enveloppée d’une pelisse noire et le visage caché dans ses coiffes, sommeillait, la tête renversée sur un carreau de velours. La banquette de devant était occupée par un homme âgé qui paraissait être quelque chose comme un valet de chambre, et par une femme dont la mise était celle d’une suivante de bonne maison. Ces deux personnages, d’une physionomie peu avenante, ne proféraient pas une syllabe, et jetaient à peine un regard somnolent et fatigué sur la rue. Debout entre la suivante et la dame, une petite fille, de cinq ans environ, s’appuyait des deux mains à la portière, et considérait d’un œil ravi les maisons bariolées d’enseignes, les étalages, les marchands ambulans qui glapissaient à tous les carrefours, et la foule affairée qui, profitant d’un douteux rayon de soleil, courait les boutiques pour faire ses emplettes du jour de l’an. A chaque instant, la petite fille se retournait pour interpeller la femme de chambre et lui montrer, avec des cris d’admiration, quelque magnifique joujou appendu aux vitrières des magasins de bimbeloterie ; mais celle-ci ne paraissait point du tout égayée par ce babil enfantin, et n’y répondait pas même d’un signe de tête. L’enfant, penchée à la portière, manifestait sa joie et sa curiosité avec une telle pétulance, qu’une fois la dame, réveillée en sursaut, la saisit par sa robe et la rejeta vivement sur les genoux de la suivante, laquelle, sortant de sa taciturne immobilité, s’écria :

— Qu’y a-t-il ? qu’est-ce donc ? mon Dieu !

— Rien, répondit la dame avec un étrange sang-froid et en se renfonçant dans le coin du carrosse ; il m’avait semblé que la petite allait tomber.

Comme elle achevait ces mots, l’enfant, qui s’était rejetée en avant avec un petit geste volontaire et mutin, se pencha à la portière, toute transportée à la vue d’un nouvel étalage de joujoux ; dans ce mouvement, un cahot lui fit perdre l’équilibre, elle fut lancée hors du carrosse et tomba la tête la première sur le pavé. Une lourde charrette de roulage venait par derrière : pendant quelques secondes, la petite fille disparut entre les roues et les pieds des chevaux. Tous les passans s’étaient arrêtés ; il n’y eut qu’un cri parmi cette foule, dont les regards étaient fixés avec angoisse sur les roues pesantes qui broyaient le pavé. Lorsque la charrette eut passé, l’on aperçut la petite fille à demi soulevée déjà sur l’une de ses mains, et rajustant de l’autre sa capeline de taffetas noir. Le carrosse, lancé au grand trot, n’avait pu s’arrêter qu’à distance. La voyageuse descendit, suivie de ses gens, et traversa d’un pas mal assuré la foule qui s’ouvrait devant elle, en lui montrant une boutique ou déjà l’on avait transporté l’enfant. Lorsqu’elle y entra, la maitresse du logis se précipita à sa rencontre en s’écriant, les mains