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pape contre les collèges athées, fausse nouvelle qu’il prétendait arrivée de Rome. La rente hebdomadaire du rappel, qu’il n’a pas voulu suspendre, est tombée jusqu’à 61 liv. 3 shill. et 2 pence, et rien n’est triste comme les lettres de ces prêtres de paroisse qui, au nom d’une cause chimérique, abandonnée maintenant de ses chefs, épuisent encore la substance de leurs paysans affamés. « Je vous envoie 15 livres, écrit l’un d’eux, et je regrette qu’il nous soit impossible de faire maintenant davantage, mais, en un moment où il n’y a plus une seule pomme de terre dans la paroisse, ce peu suffira pour manifester l’attachement du peuple envers le libérateur. « Un autre ajoute : « Nous sommes entourés de cris de malheur, et nous avons devant nous le plus terrible aspect. La désolation de nos champs est certainement une marque de la colère divine : mais j’espère que pour dernier effet elle aura le soulagement du pauvre : tous les gens de bien révèrent en secret le fléau comme une juste visitation du ciel irrité contre les oppresseurs du peuple. » Responsable de tant d’aveuglement, de tant d’argent dissipé, de tant de ressources perdues, qui seraient aujourd’hui si précieuses, M. O’Connell a beaucoup de bien à faire pour réparer les inconvéniens de sa politique. Disons tout de suite qu’il applique heureusement son admirable bon sens aux dures nécessités de cette année, et prête au vice-roi, lord Besboroug, l’appui le plus efficace. Jamais l’Irlande n’avait eu si grand besoin d’un accord si nouveau.

On conçoit que, dans cette anxiété, le gouvernement anglais s’attache à remédier autant que possible à l’impuissance absolue qui empêche les Irlandais de s’aider eux-mêmes. Il faut que cinq millions de mendians trouvent à manger demain, et la propriété irlandaise est organisée pour long-temps de telle façon, qu’une même saison peut ramener des extrémités toutes pareilles. Il faut donc à la fois pourvoir à l’urgence du moment, et tâcher d’améliorer l’avenir. C’est ce qu’on a fait au moyen de deux actes passés au parlement : le labour-rate-act et le million-act. Ces deux actes sont maintenant l’objet d’une discussion publique dans toutes les baronnies et tous les comtés d’Irlande. Comme l’un et l’autre pèsent sur la bourse et attaquent l’inertie des propriétaires, il est juste de dire que ceux-ci ont accepté généralement cette nécessité avec plus de sang-froid et de résignation qu’on ne l’aurait cru. Quelques-uns ont bien réclamé ; ils auraient voulu qu’au lieu de leur prêter de l’argent, on leur en donnât : les aumônes de l’Angleterre ne semblent jamais à leur orgueil que des restitutions ; ils auraient bien aussi désiré que leurs créanciers gagistes, que les veuves et les orphelins pourvus de pensions assignées sur leurs domaines partageassent le faix de ces nouvelles charges ; mais ces exigences étaient trop déplacées en face du péril universel. La plupart l’ont envisagé de sang-froid, et ont assez nettement délibéré ; voici à peu près où en sont les choses. Le labour-rate-act autorise le lord-lieutenant à faire entreprendre des travaux publics sans montant limité dans tous les endroits où les magistrats lui signaleront la détresse ; ces travaux, routes, canaux, ponts-et-chaussées, seront rétribués d’après des conditions un peu moins avantageuses que les travaux particuliers, pour ne point détourner les bras des services où ils sont déjà employés ; ils seront payés avec des fonds avancés par le gouvernement et remboursables dans un an par les tenanciers, mais sous cette réserve, que les tenanciers qui n’auront pas une ferme de 5 livres ne paieront rien du tout, et qu’au-dessus de 5 livres, les propriétaires entreront pour les cinq huitièmes