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fondement, a cependant une gravité qu’on ne peut méconnaître : elle tend en effet à convaincre devant l’Europe le gouvernement français d’inconséquence et de légèreté ; elle l’accuse de faire bon marché, pour atteindre un but particulier, tant de l’alliance anglaise que de la tranquillité européenne. Ces reproches, le gouvernement français les acceptera-t-il ? On assure qu’en ce moment M. le ministre des affaires étrangères est occupé à rédiger une réponse à la note de lord Palmerston, et que cette réponse ne tardera pas à parvenir à Londres. Si M. Guizot est en mesure de démontrer que le refroidissement survenu entre la France et l’Angleterre n’est pas de son fait, et que, sans provocation comme sans étourderie, il a pris le parti que lui commandaient les véritables intérêts de la France, il devra se féliciter de pouvoir consigner ses explications dans un document qui ne saurait bien long-temps rester secret. De graves devoirs sont imposés au cabinet par les circonstances. Il doit prouver aux amis sincères de la paix européenne que, de pacifique qu’elle était, sa politique n’est pas devenue brusquement aventureuse, et d’un autre côté il doit, par une habile et persévérante fermeté dans sa conduite, répondre aux défiances des esprits qui sont surtout jaloux de la dignité nationale. Ceux-là, loin de se laisser éblouir par les derniers actes du cabinet, ne cachent pas leur crainte de voir bientôt quelque faiblesse servir comme d’expiation à.la politique résolue qu’on a adoptée dans les affaires d’Espagne. Là, en effet, est l’écueil. Il n’y a que l’avenir qui puisse nous apprendre si le cabinet est destiné à l’éviter. Nous n’avons pas refusé notre approbation au gouvernement, quand il a su, par une habileté heureuse, empêcher la reine d’Espagne d’épouser un prince allemand, élevé, à ce qu’on assure, dans un esprit hostile à la France et dans les principes de la politique autrichienne. L’union de M. le duc de Montpensier avec la sœur de la reine Isabelle nous a paru de nature à resserrer les liens de deux pays que rapprochent non-seulement leurs frontières, mais leurs intérêts bien entendus. Maintenant il faut embrasser par une sage prévoyance toutes les éventualités que ces derniers actes peuvent amener dans la politique européenne. La paix générale, nous l’espérons, ne sera pas troublée, mais les conditions sur lesquelles elle repose pourront être modifiées. Il n’y aura pas de guerre entre la France et l’Angleterre ; mais pendant un temps leurs relations seront plus délicates. Pendant un temps, on sera sur le qui vive, et sous la crainte d’une représaille. Tout cela demande beaucoup de vigilance, et, dans l’occasion, beaucoup de fermeté. C’est à cette épreuve que le jugement du pays doit attendre le ministère du 29 octobre.

L’Espagne, dont les affaires provoquent aujourd’hui tant de discussions et de conjectures, n’a pas réalisé jusqu’à présent toutes les prophéties dont elle a été l’objet. On avait annoncé que dans quelques semaines elle serait en révolution nous la trouvons calme et soumise aux lois, et tout autorise à penser que les princes français arriveront à Madrid après avoir traversé des populations bienveillantes et pacifiques. Les cortès ont donné au double mariage une adhésion unanime ; il y a eu dans les débats auxquels se sont livrés le congrès et le sénat de la gravité et de l’indépendance. Deux incidens ont occupé un moment l’attention à Madrid, la fuite du comte de Montemolin et la protestation de don Enrique. Cette protestation est une étourderie de jeune homme qui n’a pas compris tout ce qu’il y avait de ridicule à se plaindre de n’être pas épousé. Quant au fils aîné de don Carlos, il a ouvert à Londres un emprunt qui n’a produit jusqu’à