Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous en tombons d’accord, l’irritation de lord Palmerston est naturelle : il voulait surprendre et humilier notre diplomatie par un coup éclatant, et cette tentative a échoué. Cependant, si vif que fût son dépit, il ne pouvait songer à élever l’affaire du double mariage à la hauteur d’un de ces griefs qui amènent nécessairement une rupture entre deux pays. Qui ne sent, en effet, que ce n’est pas tant l’Angleterre qui est ici, en jeu que la personne de lord Palmerston et celle de M. Bulwer ? Lord Palmerston s’est décidé à adresser une note à lord Normanby en l’invitant à la communiquer à M. Guizot. On avait dit, il y a quelques jours, que ce document devait recevoir, par le fait du gouvernement anglais, une publicité assez inusitée dans les négociations diplomatiques, surtout quand le cabinet auquel on s’adresse n’a pas encore eu le temps de faire connaître sa réponse. Ce serait donner un nouvel aliment aux discussions de la presse. Il paraît certain, de l’aveu même des feuilles anglaises, que la note adressée à lord Normanby est rédigée avec des ménagemens remarquables. On y rappelle les relations amicales des deux pays ; on y déplore qu’un pareil différend se soit élevé entre les deux cours. C’est une série d’observations qui n’aboutissent à aucune conclusion formelle. Le Standard affirme expressément que la note non-seulement ne contient aucune menace directe ou indirecte, mais qu’on n’y lit aucune demande de renonciation, soit de la part du duc de Montpensier, soit de la part de l’infante, pour eux ou leurs enfans, à la couronne d’Espagne, dans le cas où la succession au trône deviendrait vacante. Une pareille prétention était en effet insoutenable, et nous ne sommes pas surpris qu’elle n’ait pas été consignée dans un document sérieux.

Quant au fond des choses, lord Palmerston aurait surtout concentré ses observations sur cinq points principaux. Dans sa note, il rappellerait les stipulations du traité d’Utrecht, et s’attacherait à démontrer que le mariage du duc de Montpensier avec l’infante tend à en violer l’esprit. Ce mariage serait aussi une grave atteinte à l’indépendance de l’Espagne : c’est là le second point. Le ministre whig reprocherait, en troisième lieu, au gouvernement français, de n’avoir pas tenu compte de l’entente cordiale ; puis il se plaindrait du froissement que doivent recevoir d’une telle conclusion les intérêts anglais ; enfin il montrerait dans l’avenir les longs malheurs d’une nouvelle guerre de succession. Nous avons déjà, chemin faisant, répondu à deux des griefs de lord Palmerston. Le traité d’Utrecht est respecté par le double mariage dans son esprit et dans sa lettre, et, quant à l’entente cordiale, n’est-ce pas le ministre anglais qui a pris l’initiative des atteintes qui lui sont portées aujourd’hui ? A qui persuadera-t-on en Europe que l’indépendance espagnole est blessée par une alliance entre les Bourbons d’Espagne et de France ? C’est au contraire de la force que doit trouver dans cette union la monarchie de Philippe V. Il est permis d’espérer que ce résultat pourra s’obtenir sans une guerre de succession, et sans recopier d’une manière sanglante l’histoire du passé. Pour les intérêts légitimes de l’Angleterre, ils trouveront toujours satisfaction au sein de l’Espagne constitutionnelle et libre. Seulement l’Angleterre ne saurait oublier qu’il y a dans l’énergie de la nationalité espagnole des obstacles insurmontables à ce qu’elle fasse de l’Espagne un autre Portugal. Espartero, créature des Anglais, a voulu, au plus fort de sa puissance, leur livrer le commerce de son pays : il ne l’a pas pu.

La note de lord Palmerston, quoique à notre sens elle porte sur des griefs sans