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première de son œuvre. De cette idée, M. Halm a-t-il tiré habilement tout ce qu’il pouvait ? Les péripéties du drame éclairent-elles suffisamment la pensée philosophique de l’auteur ? Comment fera-t-il pour peindre en traits vigoureux cette situation extraordinaire, cette satiété infinie ? Werner Holm jetait dans ses fourneaux sa fortune entière ; il jette à présent dans le gouffre de son ennui tous ses désirs, toutes ses voluptés, tous ses gigantesques caprices, toutes ses fantaisies insensées, et le gouffre s’agrandit toujours. Pour peindre énergiquement cette figure de Werner, pour donner une vie puissante à cette pensée, il était besoin d’une main robuste et d’une imagination splendide. M. Halm a choisi une tâche trop haute. Là où il fallait la poésie de Faust ou de Manfred, nous ne trouvons qu’une action froidement imaginée, médiocrement conduite. L’idée fondamentale du poème est indiquée à peine, au lieu d’être nettement mise en relief. C’est surtout au centre du drame que se déclare toute la faiblesse de l’œuvre : le commencement et la fin ont répondu aux efforts de l’auteur ; mais, quand il arrive au sujet véritable, sa muse, sa faible muse s’effraie et l’abandonne. Le premier acte est écrit avec talent ; le travail de l’alchimiste dans son laboratoire, ses angoisses, son exaltation fiévreuse, sa patiente opiniâtreté, tout cela est habilement rendu. J’aime aussi les dernières scènes, j’aime l’instant où Werner Holm, fatigué de lui-même, persécuté par l’envie et la cupidité, va demander un refuge au paisible village où sa femme vivait dans la misère. Il revient pour la voir mourir, et lui-même, c’est là qu’il mourra bientôt, emportant dans la tombe son redoutable secret. Encore une fois, les premières scènes et les dernières ont été exécutées avec bonheur, avec un certain éclat ; seulement, la sérieuse difficulté, le vrai sujet n’était pas là, et rien de plus faible, rien de plus languissant que le drame lui-même. Malgré cette insuffisance, je tiens compte à M. Halm de la conception originale qui a présidé à son travail ; je le félicite d’avoir visé haut, de s’être proposé un but difficile et glorieux. S’il a échoué, sa bonne volonté du moins atteste une ame éprise du beau, un sentiment élevé de la poésie ; tout nous dispose enfin à suivre avec sympa hie les destinées de cette imagination, chez qui se déclarent avec grace des instincts nobles et purs.

Je signale, mais seulement pour mémoire, un petit drame en un acte, Camoens, joué quelques mois après, au commencement de 1837. Ce n’est pas un drame, quoi qu’en dise l’auteur ; ce n’est guère qu’un tableau rapide ; point d’action, point de lutte, point d’intérêts et de passions aux prises. Camoens est mourant sur son grabat, et le jeune Quevedo, recueillant son dernier soupir, reçoit le baptême des mains du glorieux maître. La pièce fut représentée avec peu de succès ; elle est plus intéressante à la lecture ; on croit entendre une ode passionnée, un hymne enthousiaste. Ce vieux poète accablé par la douleur, mais