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princesses, la reine elle-même, la brillante Ginevra, passent auprès de lui sans que ses yeux les aperçoivent. Il n’y a au monde qu’un seul être fidèle, une seule créature aimante, Griseldis. Cependant la reine, irritée de ce dédain, provoque Perceval à force d’interrogations moqueuses et lui fait conter son histoire. Il y a ici une gracieuse scène. Voyez la reine et ses femmes aiguillonnant le brusque chevalier par leurs perfides discours. Lui, c’est à peine s’il remarque la malveillance qui épie ses paroles. Il ouvre son cœur, il confesse naïvement son amour.


PERCEVAL.

Un soir d’été, j’étais allé chasser dans la forêt. Aux prises avec ma sombre inquiétude, le cœur rempli de pensées tumultueuses, j’allais, sans être guidé par mes yeux, j’allais çà et là où me conduisait mon pas insouciant. Tout à coup je suis arrêté par une fontaine aux flots d’argent qui arrose la forêt. Je regarde et je vois… ô reine ! je vois une jeune fille, belle comme on ne l’est pas sur terre, et cependant combien elle ignore sa beauté ! une jeune fille, ô reine ! Sur son front était écrit en caractères lumineux que Dieu sourit avec complaisance en la créant et qu’il lui dit : « Tu es la bienvenue… » Elle était assise au bord de la fontaine, et sa noire chevelure tombait à flots sur ses épaules : Soudain elle se penche vers la source, elle plonge ses petits pieds dans le cristal des flots, couvrant avec soin du bord de sa robe tout ce que l’eau ne cachait pas. Et moi, enveloppé dans l’ombre des arbres, j’admirais sa chasteté. Puis, quand elle se fut assise, regardant les flots qui jouaient avec la neige de ses pieds, elle ne songea point, comme les autres femmes, à se sourire amoureusement ni à se servir du miroir de l’onde pour se parer et arranger ses cheveux. Comme un enfant, elle se mit à enfler ses joues, à se faire des grimaces, et à pousser de francs éclats de rire quand l’eau de la source lui renvoyait une bonne caricature de son charmant visage. Et je me disais : Elle n’a point de vanité… Bientôt, du creux de la montagne, la cloche du soir sonne à la tour de la petite église ; aussitôt elle devient grave, elle se tait, elle écarte promptement les cheveux qui couvraient son visage ; son regard angélique se tourne vers le ciel, tandis que ses lèvres s’agitent en murmurant, comme des feuilles de rose au souffle de l’air. Oh ! elle est pieuse, pensai-je au fond de mon ame.


Cette description aimable est interrompue çà et là par les railleries amères de Ginevra ; la scène continue, et tout ce contraste est rendu avec beaucoup de grace. Ginevra voulait que Perceval rougît devant tous ; elle pensait qu’il n’oserait avouer la fille du charbonnier, et, bien loin de là, elle a fait éclater l’enthousiasme passionné du chevalier pour l’ange céleste qui garde l’honneur de son nom. Piquée au jeu, elle insiste plus vivement encore ; ce n’est plus la raillerie qu’elle emploie, c’est la colère et l’insulte. Ne craignez rien pour Griseldis ; elle sera défendue vaillamment. Non, il n’y a pas une femme qui puisse approcher d’elle, pas même Ginevra, la noble reine. Ah ! si le mérite distribuait les rangs, Griseldis serait assise sur le trône, et Ginevra s’agenouillerait devant la fille du charbonnier ! À ces hardies paroles de