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à dix fois plus élevé qu’il y a seize ans. Le prix de la viande au détail suit une progression analogue ; à Alger, il dépasse communément 1 fr. le kilogramme.

Cet enchérissement de la viande est regrettable à un certain point de vue, puisqu’il inflige des privations douloureuses aux indigènes de la basse classe et aux Européens pauvres : c’est néanmoins une circonstance heureuse pour le premier établissement de la colonie. La concurrence locale se trouve déjà comprimée par la force des événemens. Que la spéculation ait le temps de s’asseoir, et il n’y aura plus rien à craindre pour l’avenir. A conditions égales, les Arabes ne sont plus des rivaux dangereux dans l’art d’élever le bétail. Ils sont dignes du nom de peuple pasteur à peu près comme les nomades de la Haute-Asie. Leur incurie égale leur ignorance. Ils n’abritent j amais leurs troupeaux, qui ont beaucoup à souffrir des grandes pluies : il est rare qu’ils fassent des réserves en fourrages pour les mois de sécheresse. Lâchés au hasard dans les herbages, repus et gras au printemps, les bestiaux fondent et dépérissent sous les ardeurs de l’été. Leurs maîtres n’évitent une perte énorme qu’en donnant à vil prix les jeunes bêtes, trop faibles encore pour supporter les privations. Ils ne surveillent pas la reproduction : aussi leurs animaux domestiques, sans perdre leur vitalité naturelle, sont-ils d’apparence chétive et d’un faible poids. Les laines qu’ils livrent au commerce sont en général sales et grossières : les peaux sont presque toujours offensées par le feu. Qu’on se figure, au contraire, l’art et la vigilance de l’Européen opérant sur un sol qui semble privilégié pour l’industrie pastorale. La facilité de tenir les troupeaux neuf mois dans les prés, une incomparable variété de plantes fourragères pour la saison où la terre est brûlée, le sel en abondance et sans frais, et dans le gouvernement des étables toutes les précautions recommandées par nos habiles vétérinaires, en faut-il davantage pour relever en peu de temps les races déprimées aujourd’hui ? L’établissement des trappistes de Staoueli compte à peine trois ans d’existence : leur bétail est très insuffisant quant au nombre, mais il est bien soigné, et déjà les viandes livrées au commerce obtiennent un prix de faveur dans les boucheries. Pourquoi les beaux résultats qu’on entrevoit n’ont-ils pas encore été obtenus ? Nous l’avons dit, le bas prix de la viande a d’abord découragé ers éleveurs. L’armée, souvent fournie par des razzias, ne faisait pas des demandes régulières au commerce : le haut prix de la main-d’œuvre pour le travail des champs a surfait jusqu’ici le cours des fourrages. Bref, il n’y avait pas de culture pour nourrir le bétail ; il n’y avait pas de bétail pour fonder les cultures. Telle est l’alternative qui a tout paralysé. La rareté et l’enchérissement progressif de la viande contribueront à conjurer la fatalité sous laquelle nos colons se sont débattus.

M. Moll estime que, pour obtenir l’engrais nécessaire, il faudrait nourrir