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d’huiles comestibles et officinales que nous achetons aujourd’hui en Sardaigne et en Espagne. La confiance en ce genre de revenu est déjà même si bien établie, qu’une propriété dans laquelle on avait fait greffer 22,000 oliviers[1] vient d’être vendue 500,000 francs.

C’est pour les orangers et pour les citronniers que les indigènes réservent toute leur science agricole. Ces arbres, en effet, l’emporteraient sur l’olivier même, si leurs produits étaient, comme l’huile, de nécessité première et d’une vente illimitée. Les Maures les plantent dans des vergers, au milieu desquels ils creusent un bassin avec des rigoles d’irrigation qui communiquent, par un plan légèrement incliné, au pied de chaque arbre. Dans un sol très riche, une plantation de six ou sept ans commence à donner des produits. Quand l’oranger a pris toute sa force, le revenu devient considérable[2]. Sans parler des ressources qu’offre la distillation des fleurs, il n’est pas rare qu’un seul pied donne jusqu’à cinq mille oranges d’une beauté, d’une qualité sans égale peut-être dans le monde. Et pourtant la force de la routine est telle en agriculture, que beaucoup de nos paysans transplantés en Afrique ne s’aperçoivent pas qu’un seul de ces arbres aux pommes d’or vaut mieux qu’une vingtaine de pommiers ou de pruniers maigres et altérés.

Dans la persuasion où nous sommes que l’Algérie ne prospérera que quand la grande spéculation s’intéressera à elle, nous n’avons à signaler que les arbres qui donneront des produits d’exportation. À ce titre, le figuier et l’amandier obtiendront une place importante sur le sol africain. Il ne manque au figuier de l’Algérie qu’une culture convenable pour valoir les meilleures qualités de la Provence. La dessiccation des figues, opération fort simple qui est déjà la principale occupation des tribus voisines de Mostaganem, aura pour avantage d’utiliser les enfans de nos fermes, circonstance heureuse qui augmente le bien-être des familles ouvrières sans exagérer le salaire des adultes. La culture de l’amandier est peu lucrative en France, parce qu’il est rare que l’arbre n’y soit pas attaqué par la gelée pendant sa floraison ; n’étant pas exposé aux mêmes dangers dans l’Algérie, il promet à nos colons pour l’année commune autant que rendent les bonnes années dans les départemens du midi. Le bananier, qui a le privilège de produire dès la seconde année, dont la tige fournit une filasse avec laquelle on espère fabriquer du papier[3]

  1. La propriété contenait en outre 10,000 mûriers récemment plantés, et un matériel de 10 à 50,000 francs.
  2. En 1635, don Francisco Mascarenhas fit venir de la Chine à Lisbonne un pied d’oranger ; il le planta dans son jardin de Xabregas. De cet arbre, assure-t-on, sont sortis les vergers répandus aux environs de Lisbonne, de Sétubal, dans les Algarves et les Açores, et aujourd’hui le Portugal exporte des oranges pour 4 millions de francs.
  3. Les résultats d’une expérience très importante faite, le 15 octobre 1845, par MM. Chevreul et Péligot, sont consignés dans un rapport auquel le ministre du commerce et le ministre de la guerre ont donné la publicité. « Nous ne pouvons douter, disent, les deux savans, de la possibilité de faire un papier très blanc et d’une bonne qualité avec la filasse du bananier… Mais la question n’est pas là : elle est dans le prix auquel on pourra livrer les filasses des plantes textiles de l’Algérie aux fabricans de papier… Si on peut les livrer à un prix égal à celui du chiffon de bonne qualité, on aura rendu un véritable service au pays. »