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ses sacrifices. Pourquoi aucune tentative capable de frapper l’opinion publique par ses résultats n’a-t-elle encore été faite ? Les agriculteurs répondent par leur éternelle objection. Pour le coton, si les circonstances physiques sont évidemment favorables, il n’en a pas encore été de même des circonstances économiques. La récolte du coton, à mesure que s’ouvrent les capsules, dure quatre mois. Ce genre d’opération, réservé en Amérique aux femmes, aux enfans, aux esclaves infirmes, ne pourrait être exécuté en Algérie que par des laboureurs adultes, loués à la journée et à très haut prix. L’égrenage et l’emballage exigent aussi des machines assez dispendieuses et des ouvriers spéciaux. Les tabacs algériens, supérieurs à ceux qu’on tire du Levant, et peut-être égaux, dans certaines localités privilégiées, aux meilleures qualités de la Havane, fournissent deux récoltes par an. Trois variétés désignées par les inspecteurs du gouvernement sont d’une qualité si exquise, que l’administration offre de les payer 130 fr. les 100 kilog. de feuilles, tandis qu’elle achète le Virginie à moins de 40 francs. Il est reconnu aujourd’hui qu’un hectare peut produire 40,000 plantes à vingt feuilles chaque, ou 800,000 feuilles, du poids de 2,000 kilogrammes ; au prix moyen de 110 fr. par quintal, c’est un revenu brut de 2,200 fr., sur lesquels il y a seulement 600 fr. à déduire pour frais de culture ; reste en produit net 1,600 francs. Malgré ces brillantes espérances, la terre reste couverte de broussailles, parce que la confiance n’existe pas, parce que les petits propriétaires, livrés à eux-mêmes, ne peuvent rien entreprendre, parce que les bons ouvriers ne répondront qu’à l’appel des grands capitalistes, et que ceux-ci n’obéiront qu’à l’impulsion du gouvernement[1].

Pour les laborieux Kabiles, pour les Maures industrieux et patiens, la culture des arbres à fruit compose le meilleur revenu. A plus forte raison en doit-il être ainsi pour nos colons, puisque les plantations bien ordonnées ne restreindront pas l’espace destiné aux autres substances nutritives. La force du soleil est telle en Afrique, que l’ombrage modéré est plutôt nécessaire que nuisible aux humbles végétaux, de sorte que de grands arbres, convenablement espacés, abriteront d’abondantes récoltes de grains, de racines et de fourrages. Il suffit d’observer que les jeunes plants soient distribués en lignes, à intervalles égaux de 12 à 15 mètres. La régularité des plantations est nécessaire pour que les arbres ne soient pas offensés par les labours donnés avec les instrumens attelés : un intervalle de 6 à 8 mètres serait suffisant si le terrain n’admettait pas les basses cultures. Des plantations de ce genre, qui exigeraient en beaucoup de pays des avances considérables, occasionneront

  1. Une simple démonstration du gouvernement a eu aussitôt des résultats. En 1845, 100,000 kilogrammes de feuilles ont été livrés à l’administration des tabacs, et on assure que la quantité expédiée sera au moins doublée pendant l’année courante.