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La circonstance décisive pour le choix du territoire à exploiter est la facilité des irrigations. L’industrie agricole présente un phénomène dont les conséquences politiques n’ont pas été assez remarquées. Les pays méridionaux, dont la fécondité naturelle est la plus grande, sont ordinairement pauvres relativement aux contrées placées sous des climats moins généreux. Pour ne citer, par exemple, que les deux zones qui partagent la France, les départemens du nord sont beaucoup plus productifs et par conséquent beaucoup plus influens que ceux du midi. C’est que les régions humides où l’arrosage factice serait le moins nécessaire sont précisément celles où il est le plus facile et le moins dispendieux. L’avantage qu’on en tire, augmentant les bénéfices du producteur, lui permet d’accroître progressivement le capital consacré à l’amélioration de sa terre. Une marche en sens inverse a lieu dans le midi. L’arrosage y est rigoureusement nécessaire pour rendre au sol desséché sa vertu féconde ; mais la première mise de fonds pour un large système d’irrigation serait considérable, et le propriétaire est ordinairement pauvre. Son domaine mal exploité restant sans valeur, il ne peut espérer le secours des capitalistes étrangers. Peu à peu le découragement le saisit ; il perd le goût de la bonne agriculture, il s’en tient à une pratique routinière et misérable. Tel est le fait général, du moins dans les temps modernes où l’individu est livré fatalement à ses propres ressources. Les grands peuples des temps anciens, qui se développèrent presque tous sous les latitudes méridionales, comprirent si bien au contraire l’importance des irrigations, qu’ils en firent une loi d’existence sociale. Il semble même que, pour ces peuples, l’âge d’une splendeur presque fabuleuse ait été celui où l’on poussa au plus haut point l’art de féconder le sol par la distribution des eaux. N’est-ce pas aux plus belles époques de leurs annales que les Indous creusèrent ces prodigieux réservoirs dont l’un présente une ouverture de 13 kilomètres de longueur sur 5 de largeur, que les Chaldéens ouvrirent leurs fleuves artificiels, que les Égyptiens découpèrent en innombrables tranchées la vallée du Nil, que les Romains pratiquèrent leurs beaux travaux hydrauliques, que les Arabes, en arrosant l’Andalousie, la transformèrent en jardin ? Ces mêmes Arabes ont possédé pendant quarante ans un coin de la Gaule, et ils y ont laissé ces canaux du Roussillon qui font encore la fortune de l’un de nos départemens. Pour revenir enfin à l’Algérie, des canaux de navigation et d’arrosage, dont on suit les traces dans la Mitidja, des aqueducs romains que nos ingénieurs admirent à Stora, des bassins gigantesques creusés aux environs de Tlemsen par les rois maures de cette cité, sont autant de travaux dent l’exécution coïncide avec les époques qui ont vu fleurir la civilisation sur le littoral africain.

Arrive-t-il par exception qu’une terre soit suffisamment détrempée