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REVUE. — CHRONIQUE.

n’en ont pas moins fondé véritablement une ligne politique qui jusqu’à présent s’était distinguée de la ligne démocratique par les traits les plus essentiels.

Ainsi, de sont les whigs qui ont toujours voulu mettre les dettes particulières des états à la charge de l’Union, et les liquider au moyen d’impôts suffisans versés dans la caisse fédérale ; ce sont les démocrates qui ont repoussé cette fusion financière et préparé les banqueroute. Attachés, d’autre part, à l’observation générale de leurs principes de liberté, les démocrates, répandus peu à peu sur tout le sol de l’Union, se sont faits les avocats du free-trade aussitôt après que Jefferson eut créé l’avenir industriel de la nation par ses tarifs protecteurs de 1801 à 1808, les whigs, au contraire, moins amoureux de théories spéculatives que d’intérêt pratiques, se sont déclarés les partisans de la prohibition., et ils ont eu gain de cause avec leur tarif de 1842. Détenteurs de fonds publics, banquiers ou commerçans, amis de la paix, les whigs ont retardé de leur mieux l’extension sans cesse croissante du territoire américain ; la propagande démocratique ne rêve jamais qu’accessions et conquêtes. Les préjugés naturels des pays du sud contre les esclaves se sont affiés, chez les whigs, aux antipathies nationales du Yankee contre l’étranger, tandis que les démocrates étaient naturellement des abolitionistes décidés, et ont presque toujours, sinon à l’unanimité, combattu les passions exclusives du nativisme. Enfin, chose étrange au milieu de ces vastes territoires, refuge ouvert à toutes les émigrations de l’Europe, au milieu de ces populations qui fournissent encore tant d’intrépides settlers, la question de la propriété s’est déjà trouvée posée, et, grace à l’entière liberté de discussion, les théories communistes ont fait là plus de bruit et tenu plus de place que dans le vieux monde. La guerre de l’émancipation était à peine finie, que l’on écrivait à Washington : « Les terres des États-Unis ont été sauvées par les efforts de tous, elles doivent être la propriété de tous. Quiconque s’oppose à cette maxime est un ennemi de la justice, il mérite d’être balayé de la surface de la terre, » et l’on demandait des lois agraires au premier président de la jeune république. L’agrarianisme a bientôt pris des proportions considérables dans certains états, ou les baux avaient gardé plus ou moins leurs conditions et leurs formes anglaises ; on s’est insurgé contre ce qu’on appelait des privilèges féodaux ; on refuse de payer la rente. Les whigs devaient se porter, gardiens des droits acquis ; les anti-renters ont été se joindre aux démocrates, derrière lesquels s’agite encore toute cette foule confuse qui se prête en Amérique aux expériences du socialisme ou à la direction des sectaires.

Whigs et démocrates, ainsi divises par des différences si précises, semblent pourtant aujourd’hui effacer d’un commun accord les saillies les plus vives par où ils se distinguaient : les démocrates se modèrent, et l’on dirait même qu’en diverses occasions ils ont emprunté les préjugés des whigs ; les whigs se montrent plus hardis, plus confians dans les institutions populaires et dans la vertu du libéralisme. Il serait difficile de rien affirmer de très général à propos d’une telle situation, qui est essentiellement changeante ; mais il y a cependant une tendance commune qui ressort d’un assez grand nombre de faits particuliers. Ainsi il est vrai, comme on l’a dit, que les élections du New-Hampshire, du Maine, de la Pensylvanie, ces anciennes citadelles démocratiques, ont été très favorables aux whigs, à la grande surprise de toute l’Union ; mais ce n’est là qu’une face de la situation présente : les whigs, ardens soutiens du système