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façon la plus imprévue, la démission collective d’un cabinet donnée et retirée dans les vingt-quatre heures, tout cela dénote dans l’exercice et dans les rapports du pouvoir royal et du pouvoir ministériel beaucoup de légèreté et d’inexpérience. M. Pacheco, chef d’une fraction du parti conservateur et procureur-général près la cour suprême de justice, avait demandé un congé pour se rendre à Cordoue, où il se porte candidat à la députation. Le ministère ne veut pas accorder le congé, et M. Pacheco répond à ce refus par une démission que la reine n’accepte pas. Alors le cabinet en masse déclare qu’il se retire ; il offre une démission collective qu’il consent à reprendre le lendemain. Du reste, cet étrange incident était le symptôme d’une intrigue dont les auteurs se proposaient de porter la désorganisation au sein du pouvoir au moment de la crise électorale. On s’attend à une modification ministérielle à Madrid, quand le résultat des élections générales sera connu. Cette modification, si elle est décidément nécessaire, pourra s’accomplir alors sans secousse. Ce n’était pas le compte de quelques personnes qui eussent souhaité voir une révolution ministérielle éclater à la veille des opérations électorales. M. Bulwer partageait-il ce désir ? C’est ce que nous ne voulons pas affirmer. A l’heure qu’il est, au surplus, le représentant de l’Angleterre à Madrid est avec M. Bresson dans des termes courtois. Il ne se fait pas faute d’attribuer à l’indécision du ministère anglais le dénouement de la négociation relative aux mariages. On l’a laissé sans instructions précises et nettes ; sans cela, il n’eût pas eu le dessous en face de la diplomatie française. M. Bulwer voudrait sauver avant tout sa réputation d’habileté.

Est-il vrai que l’espoir de voir la reine d’Espagne donner un héritier à la couronne s’affermisse de plus en plus ? On le dit à Madrid, et cette éventualité acquiert chaque jour plus d’importance politique. L’Espagne souhaite nécessairement que la succession au trône soit assurée le plus tôt possible. En dehors de la Péninsule, ce désir est partagé par tous ceux qui appellent de leurs vœux un prompt rapprochement entre la France et l’Angleterre, et, parmi eux, on peut même compter d’augustes personnages à qui on avait attribué pour l’avenir d’ambitieuses prétentions à l’héritage de Philippe V. Si lord Palmerston n’a pas résolu de repousser systématiquement toute ouverture à une réconciliation sincère, il accueillera avec satisfaction les espérances qui s’attachent aujourd’hui à l’état de la reine d’Espagne. Cette satisfaction pourra être d’autant plus réelle, qu’elle aura tout le caractère d’une agréable surprise. En effet, lord Palmerston avait, sur les conséquences de l’union de la reine Isabelle avec le duc de Cadix, une opinion tout-à-fait contraire. Quand le chevalier Tacon, chargé d’affaires d’Espagne, vint apprendre ce mariage au ministre whig, il eut à en essuyer une des sorties les plus vives et les plus étranges, dans laquelle lord Palmerston insistait surtout sur le malheur de la reine Isabelle, qui se trouvait ainsi sacrifiée. Ces singulières doléances furent consignées dans une dépêche qui a pris place dans les archives des affaires étrangères à Madrid. Ce n’est pas là une des pages les moins curieuses de la diplomatie contemporaine.

Peut-on donner le nom de guerre civile à l’inexplicable situation qui se prolonge en Portugal ? Les partis semblent plutôt s’éviter que chercher à vider leurs différends par une lutte décisive. Les conseils et l’intervention du colonel Wylde, ce médiateur envoyé par le prince Albert et la reine Victoria, n’ont encore amené aucun résultat. Le temps qui s’écoule ne fortifie pas le parti