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Fernand l’abandonne parce qu’il ne l’aime plus, parce que son amour s’est refroidi ; mais elle ne se résigne pas. Elle interroge son cœur, et le trouvant encore dominé par la même passion, dévoré de la même ardeur, elle ne peut croire que l’affection de Fernand soit éteinte sans retour. Fernand s’est étrangement abusé. Présent, il eût réussi peut-être à recouvrer sa liberté, en brisant chaque jour un anneau de sa chaîne. Il s’est trop pressé ; la fuite, au lieu de le sauver, le perdra. Il a cherché la solitude ; les lettres de sa maîtresse viennent troubler la paix de sa retraite. Cet amour importun dont il voulait se débarrasser le réveille en sursaut au milieu de ses rêves de bonheur et d’indépendance. Quand il a passé la journée près d’une jeune fille calme et pure, dont le cœur ne s’est pas encore ouvert à la passion, dont la beauté sereine, le caractère angélique, le regard limpide, le sourire presque divin, lui promettent une longue suite d’années heureuses, il trouve, en rentrant chez lui, une lettre qui lui rappelle que sa chaîne n’est pas brisée M. Sandeau a peint les tortures de Fernand avec une rare habileté. Il serait difficile de présenter d’une façon plus poignante la lutte de l’égoïsme contre la passion. Fernand touche du doigt le bonheur, et il faut qu’il y renonce ; car sa maîtresse, lasse enfin d’attendre son retour, se décide à partir, à mettre entre elle et son mari une barrière infranchissable. Elle vient retrouver Fernand. Ici, le châtiment commence ; il va se poursuivre avec une inflexible rigueur. Le mari est bientôt sur les traces de sa femme. Fernand est seul avec sa maîtresse, qu’il veut décider à partir, quand le mari paraît. Fernand offre sa vie à l’offensé ; mais ce n’est pas la le compte du mari : le duel est un jeu hasardeux. Le mari a deviné le secret de Fernand, il a compris que la passion est usée dans son cœur. Pour punir du même coup la maîtresse et l’amant, il refuse l’offre de Fernand. — Vous avez pris ma femme, gardez-la, — c’est à cette seule réponse qu’il borne pour le moment sa vengeance. Il part, et Fernand, resté seul avec sa maîtresse, ne tarde pas à mesurer toute la rigueur de l’expiation qui lui est imposée. Obligé de subir chaque jour les reproches, les larmes, le désespoir muet de la femme qu’il a pour jamais séparée du monde, sa vie n’est plus qu’un perpétuel supplice. Pour tromper sa douleur, il voyage, il parcourt l’Italie ; mais il traîne avec lui sa chaîne. Par une pente irrésistible, il arrive à souhaiter la mort de sa victime. Ses vœux sont exaucés, il est libre enfin, il le croit du moins. Sa poitrine se dilate. Il a beau faire, il se révolte inutilement contre son indignité ; il ne peut se défendre d’une joie cruelle, en contemplant le corps inanimé de la femme qu’il a aimée avec frénésie, et dont l’amour obstiné a fait plus tard son supplice. Sa joie n’est pas de longue durée. Il revient en France, il retrouve la jeune fille dont le souvenir est demeuré dans sa pensée comme un tourment de plus ajouté à tous les