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pensée. C’est pourquoi il me semble utile d’étudier avec soin l’ensemble des œuvres de M. Jules Sandeau. Toutes les pages qu’il a signées de son nom ne méritent pas les mêmes éloges, toutes les fables qu’il a inventées n’offrent pas la même vraisemblance et le même intérêt ; mais il y a dans chacun de ses livres une substance morale qui se prête merveilleusement à la discussion. Lors même qu’il ui arrive de se tromper, son erreur s’explique par des motifs honorables. Il traite le public avec respect, et la critique doit lui tenir compte de sa persévérance et de la sincérité de ses efforts.

Le premier roman de M. Saudeau, Madame de Somerville, se recommande par des qualités précieuses, par la simplicité de l’action, par la vérité des épisodes, par la grace et la sobriété du style. Cependant je crois inutile de m’y arrêter, car toutes les qualités qui distinguent Madamede Somerville se retrouvent avec plus d’éclat et d’évidence dans Marianna. Dans ce second roman, M. Sandeau a donné sa vraie mesure. Il a montré tout ce qu’il possède de finesse et de pénétration. Le sujet de Marianna est d’une vérité que personne ne voudra contester, et les personnages inventés par l’auteur, l’action où ils figurent, expriment très bien la pensée que M. Sandeau a voulu revêtir d’une forme vivante. Dans ce livre on le sent à chaque page, l’action naît de la pensée, chacun des personnages représente une idée, rien n’est livre au hasard, au caprice, à la fantaisie, et pourtant l’action marche avec une allure libre et dégagée, elle n’a rien de contraint, de systématique, rien qui sente le travail. Tout est vivant, naturel et rapide, comme un récit pris dans la vie réelle. C’est qu’en effet, par un bonheur singulier, chacun des personnages, en même temps qu’il représente une idée nette et bien déterminée, appartient au monde au milieu duquel nous vivons. Je parlais tout à l’heure de l’incontestable vérité du sujet choisi par M. Sandeau. Pour démontrer ce que j’avance il suffit d’énoncer la pensée-mère de ce livre dans toute sa nudité. M. Sandeau a voulu prouver que, sous l’empire inexorable des passions, les cœurs les plus sincères sont tour à tour victimes et bourreaux. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un enseignement plus austère que la lecture de ce livre. La leçon est cachée sous le mouvement et la variété du récit. L’action se développe naturellement et n’a jamais la forme didactique ; les personnages obéissent à leurs passions, et ne songent pas un seul instant à chercher dans leur conduite, dans leurs joies ou leurs souffrances, les élémens d’une formule philosophique. Cependant la philosophie et la poésie se marient si heureusement dans ce livre, que chaque page s’adresse en même temps à l’imagination et à la pensée.

Marianna est un cœur inquiet, avide d’émotions, qui s’agite douloureusement dans le cercle du devoir et de la famille. Pour elle, on le comprend dès le début, un bonheur prévu est un bonheur incomplet ;