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Pour expier toutes ces critiques, indiquons un curieux chapitre sur le néologisme. M. Francis Wey a dressé une liste d’un grand nombre d’expressions créées au dernier siècle, et y a joint le nom des inventeurs. La plupart de ces mots sont aujourd’hui fort inconnus. On voit, en parcourant cette liste, que nos ancêtres ont donné tout autant que nous dans ce travers, qu’on a si rudement reproché à notre siècle ; ce tableau est, à cet égard, une chose fort consolante. Quelques-uns même sont d’une telle bizarrerie, qu’on a peine à croire qu’ils aient eu un moment de vogue ; en voici quelques-uns :

Abéquiter, — s’enfuir à cheval (L. Verdure).

Absconder (Mercier).

Acertainer (Rétif).

Anguillonneux. — M. Francis Wey nous apprend que c’est pour l’appliquer à ce pauvre M. de La Fayette qu’on a inventé ce mot. Comment ce pauvre M. de La Fayette a-t-il mérité qu’on inventât pour lui ce barbarisme ? C’est ce qu’on ne nous dit pas.

Cette liste est fort amusante ; il serait assez curieux de dresser de même l’inventaire des néologismes les plus usités de notre temps. M. Francis Wey, comme tout le monde, y apporterait son petit contingent ; il y figurerait pour les mots suivans, que nous trouvons dans son ouvrage : fixateur, dialogiste, philosopheur, dactyloïde, prêcherie, racontage, etc. Ces mots ne semblent pas indispensables et sont un peu risqués. Comme d’ailleurs ils n’ont rien de ridicule, il est bon de s’en défier plus que des mots suivans, contre lesquels M. Francis Wey a soin de nous prémunir : « On fera bien de se défier de ces épithètes de mirobolant, de super coquentieux, de superlatif, de phénoménal, d’ébouriffant, de pyramidal, de fantasmatique, etc. » Cet avertissement n’était peut-être pas absolument nécessaire.

Ces inadvertances empêchent-elles M. Francis Wey d’avoir fait un livre estimable ? Non, sans doute ; mais l’auteur est si sévère pour les grammairiens ses prédécesseurs, il relève si curieusement les bévues échappées aux académiciens dans le pénible travail de leur dictionnaire, qu’il donne envie de rechercher si ces erreurs peuvent réellement être évitées dans une œuvre de longue haleine. La sagacité, l’érudition, compensent bien chez M. Francis Wey les petites erreurs qui ont pu lui échapper : toutes ces qualités ne l’ont pas empêché pourtant de se tromper quelquefois. Il y a là de quoi faire trembler ceux qui ne peuvent offrir au lecteur les mêmes dédommagemens.


F. DE LAGENEVAIS.