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saint Augustin et Condorcet, avec les pères de l’église et les philosophes. Cependant voici M. Francis Wey, qui, tout en passant en revue ses substantifs et ses adverbes, s’interrompt pour vous envoyer quelque amère raillerie. Progrès, avenir ? mots vides de sens ; philosophes, humanitaires, socialistes ? rêveurs ou charlatans ! D’ailleurs, ne sait-on pas que les philosophes ne peuvent se mettre d’accord ? Et là-dessus M. Francis Wey reprend et développe ce vieux thème, qui rajeunit merveilleusement entre les mains de certaines gens. « C’est à la faveur de ces ténèbres (l’obscurité du langage) que la philosophie en impose sur le vague et le mensonge de ses spéculations : fausse philosophie, puisque les vérités proclamées par elle sont renversées d’âge en âge, que les écoles se succèdent sans cesse, et que la vérité allemande est autre que la vérité écossaise, différente elle-même de la vérité française. Et comment énoncer la vérité française entre Spinoza, Descartes, Condillac, Kant, M. Jouffroy, M. Cousin, etc., qui se contredisent et se démentent mutuellement ?» Je ne sais pas trop ce que Spinoza et Kant viennent faire ici, puisqu’il n’y est question que de la vérité française ; mais je voudrais bien savoir s’il y a une seule science au monde où, tout en s’accordant sur les points essentiels, les savans ne disputent pas sur une foule d’autres moins importans. L’amour-propre et partant la discorde se fourrent partout. Les sciences positives ne sont pas à l’abri de ces petits inconvéniens. « Je croyais, dit Voltaire, y trouver le repos, que Newton appelle rem prorsus substantialem ; mais je vis que la racine carrée du cube des révolutions des planètes et les carrés de leurs distances faisaient encore des ennemis. J’ai osé mesurer toujours la force des corps en mouvement par M + V. Je m’aperçois que j’ai encouru l’indignation de quelques docteurs allemands. » Les philosophes se contredisent ? mais il me semble que les grammairiens eux-mêmes ne s’en acquittent pas mal, à en juger par l’ouvrage de M. Francis Wey. L’auteur y traite parfois assez lestement des grammairiens qui ont le malheur de ne pas penser comme lui. S’ensuit-il que la grammaire soit une science vaine ? S’ensuit-il que M. Wey n’ait pas souvent raison contre ses adversaires ? Non, assurément.

Voici un endroit où la philosophie aurait pu être utile à M. Wey. Il ne veut pas qu’on dise restes mortels : « c’est une niaiserie, vu qu’il n’est pas de restes immortels, et que par conséquent l’épithète est superflue. » Mais pardon, monsieur ; il y a toute une croyance dans cette épithète que vous déclarez superflue. bien des gens croient, au contraire, qu’il reste après la mort quelque chose d’immortel. Les partisans de la vérité française, que vous avez cités plus haut, Descartes, Condillac, MM. Jouffroy et Cousin, sont ici d’accord ; ce n’est point là une de ces questions sur lesquelles ils se contredisent et se démentent mutuellement.

Il est fâcheux que M. F. Wey ait ces préventions contre la