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Français est gentilhomme, nous dit-il, et il demeure tel parce que le goût national est porté par l’éducation et l’usage à cette gentilhommerie. » Cela n’est peut-être pas très clair. On a souvent parlé du style grand-seigneur de Saint-Simon ; il me semble que, quand ce duc et pair écrit bien, il ne s’exprime pas autrement que Molière, avec lequel il a plus d’un rapport, comme M. Sainte-Beuve l’a judicieusement remarqué. Ce qui le distingue de Molière, ce sont ses phrases inachevées, ses constructions pénibles, ses obscurités, défauts inévitables d’une plume trop rapide. Ce n’est sans doute pas là ce qui constitue le style grand-seigneur ; mais, pour éclaircir ce point, ouvrons le livre de M. Wey. J’y trouve ce jugement sur le Bourru bienfaisant de Goldoni : « Comment s’amuser du Bourru bienfaisant, qui, durant trois grands actes, maltraite sa famille et l’assomme ; personnage tellement désagréable et saugrenu, que l’on romprait sans hésiter tout commerce avec une maison qui posséderait un crétin aussi fastidieux ?» Est-ce là l’idiome en question ? Je n’en sais rien ; mais au moins n’est-ce pas là le langage populaire que Malherbe et Courier allaient chercher à la place Maubert. Il est vrai que M. Francis Wey goûte médiocrement le style de Courier : « M. Cormenin, sec et déchiqueté comme Courier, son émule. » Jugement un peu sévère peut-être en ce qui concerne Courier. Il y aurait aussi quelque chose à redire à cette phrase, attendu que, dans l’idiome des Français, un écrivain peut bien être le modèle et non l’émule de ceux qui sont venus après lui. — D’ailleurs, M. Francis Wey reste fidèle à cette gentilhommerie en nous signalant les formules dont on ne doit point se servir dans la bonne société. « Aller en société est un terme digne des commis-voyageurs qui l’emploient. Aller en soirée est excellent dans la bouche des petits marchands et des officiers en garnison dans la province. » Ailleurs l’auteur discute la question de savoir s’il ne serait pas convenable de rendre aux ministres le titre d’excellence. Ce sujet mériterait sans doute d’être examiné ; mais il a un peu perdu de son intérêt depuis que les excellences elles-mêmes se sont prononcées sur cette question.

On ne s’étonnera point sans doute, après cela, que M. F. Wey n’aime pas les philosophes. Tout en discutant, comme Pic de la Mirandole, de omni re scibili, sur tout ce qu’il sait, et de quibusdam aliis, c’est-à-dire sur un certain nombre de choses qu’il paraît savoir moins bien, il lance de vives épigrammes contre la philosophie et contre ceux qui la cultivent. Vous étudiez, avec Platon et Leibnitz, Dieu, l’homme, la nature, la société ; vous voyez dans cette étude un digne emploi des facultés humaines. Peut-être même, tout en convenant que la société va mieux qu’autrefois, ou précisément parce qu’elle va beaucoup mieux, vous poussez la témérité jusqu’à croire qu’un jour elle pourra mieux aller encore ; en un mot, vous croyez au progrès, à l’avenir de la raison, avec