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au-dessus de lui. Il ne subit pas l’influence de l’hôtel de Rambouillet ; il n’adopte pas le persiflage avec les roués de la régence, ou le grasseyement avec les incroyables du directoire : il garde le vieux langage et la vieille prononciation, telle qu’il la reçue, et reste fidèle à l’ancien usage pour les mots comme pour les habits.

Nous sourions de pitié quand nous entendons le peuple dire : J’avons, j’étions. C’était là pourtant le langage dont on se servait à la cour toute littéraire de François Ier ; d’ailleurs, ce singulier joint à un pluriel est-il plus bizarre que cette formule, employée partout, et notamment dans les préfaces : Dans ce drame, nous nous sommes efforcé... ; ou que le vous avec un singulier, quand nous nous adressons à une seule personne : Monsieur, vous êtes étonné ?... Comme le remarque très bien M. Génin, c’est tout simplement le pronom que nous mettons au pluriel en laissant le verbe au singulier, tandis que le peuple fait tout le contraire : l’un n’est pas plus extraordinaire que l’autre. Le peuple dit ostiné au lieu d’obstiné : cette prononciation est déclarée obligatoire par Théodore de Bèze. Quant aux t et aux s que le peuple met devant les mots commençant par une voyelle, et qui préviennent les hiatus, cela prouve une délicatesse d’oreille plus rare, à ce qu’il paraît, dans les hautes classes que dans les classes inférieures. Les Grecs mettaient des lettres euphoniques pour prévenir le concours des voyelles ; le peuple de France est Athénien en ce point. Le beau monde n’a-t-il pas conservé une foule de ces cuirs sans s’en douter : va-t-il, ne voilà-t-il pas, etc. ? Ce sont des exceptions pour vous ; mais le peuple n’en fait pas, et se montre en cela plus fidèle que vous à l’analogie et à la tradition, car les consonnes ainsi intercalées se retrouvent dans la vieille langue : elles contribuaient à la rendre moins sourde et plus harmonieuse. A cet égard, le livre de M. Génin est excessivement curieux : c’est sans doute une idée excellente que de prouver à notre dédaigneuse société que la langue et la prononciation du peuple ne sont pas une altération du bon langage et de la bonne prononciation, mais simplement une suite d’archaïsmes curieux à étudier. Il y a là quelque chose de neuf et d’intéressant ; c’est une idée dont on aurait dû peut-être tenir un peu plus de compte à M. Génin. Quand on s’engage ainsi dans un pays peu connu, il est sans doute fort naturel de s’égarer quelquefois, et je ne m’étonne nullement que ce malheur soit arrivé à M. Génin.

Il est superflu de répéter ici les critiques auxquelles ce livre a donné lieu ; les reproduire sans y ajouter quelque chose de nouveau serait ( ???) ridicule : on l’a fait ailleurs, je le sais ; mais je n’ai aucun motif pur en faire autant, et l’on ne me pardonnerait pas sans doute des ( ???) inutiles, que de pieuses rancunes peuvent seules excuser.

( ???), ce livre est aujourd’hui dans les mains des érudits. M. Génin ( ???) souvent les opinions de MM. Charles Nodier, Ampère,