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— Rien autre chose, sinon que l’argenterie qu’ils ont emportée représentait probablement le gage exact des prêts qu’ils avaient pu faire dans Memphis. L’Égyptien est négligent ; il avait sans doute laissé s’accumuler les intérêts, et les frais, et la renie au taux légal…

— De sorte qu’il n’y avait pas même à réclamer un boni ?

— J’en suis sûr. Les Hébreux n’ont emporté que ce qui leur était acquis selon toutes les lois de l’équité naturelle et commerciale. Par cet acte, assurément légitime, ils ont fondé dès-lors les vrais principes du crédit. Du reste, le Talmud dit en termes précis : « Ils ont pris seulement ce qui était à eux. »

Je donne pour ce qu’il vaut ce paradoxe berlinois. — Il me tarde de retrouver à quelques pas d’Héliopolis des souvenirs plus grands de l’histoire biblique. Le jardinier qui veille à la conservation du dernier monument de cette cité illustre — appelée primitivement Ainschems ou l’Œil-du-Soleil, m’a donné un de ses fellahs pour me conduire à Matarée. Après quelques minutes de marche dans la poussière, j’ai retrouvé une oasis nouvelle, c’est-à-dire un bois tout entier de sycomores et d’orangers ; une source coule à l’entrée de l’enclos, et c’est, dit-on, la seule source d’eau douce que laisse filtrer le terrain nitreux de l’Égypte. Les habitans attribuent cette qualité à une bénédiction divine. Pendant le séjour que la sainte famille fit à Matarée, c’est là, dit-on, que la Vierge venait blanchir le linge de l’Enfant-Dieu. On suppose en outre que cette eau guérit de la lèpre. De pauvres femmes qui se tiennent près de la source vous en offrent une tasse moyennant un léger batchiz.

Il reste à voir encore dans le bois le sycomore toutfu sous lequel se réfugia la sainte famille, poursuivie par la bande d’un brigand nommé Disma. Celui-ci qui, plus tard, devint le bon larron, finit par découvrir les fugitifs ; mais tout à coup la foi toucha son cœur, au point qu’il offrit l’hospitalité à Joseph et à Marie dans une de ses maisons située sur l’emplacement du vieux Caire, qu’on appelait alors Babylone d’Égypte. Ce Disma, dont les occupations paraissaient lucratives, avait des propriétés partout. — On m’avait fait voir déjà, au vieux Caire, dans un couvent cophte, un vieux caveau, voûté en brique, qui passe pour être un reste de riiospilalière maison de Disma et l’endroit même où couchait la sainte famille.

Ceci appartient à la tradition cophte, mais l’arbre merveilleux de Matarée reçoit les hommages de toutes les communions chrétiennes. Sans penser que ce sycomore remonte à la haute antiquité qu’on suppose, on peut admettre qu’il est le produit des rejetons de l’arbre ancien, et personne ne le visite depuis des siècles sans emporter un fragment du bois ou de l’écorce. Cependant il a toujours des dimensions énormes et semble un baobab de l’Inde ; l’immense développement de ses branches et de ses surgeons disparaît sous les ex-voto, les chape-