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sont à Rome et dont l’autre a été détruit ; à ces avenues de sphinx en marbre jaune dont un seul se voyait encore au siècle dernier ; — à cette ville enfin, berceau des sciences, où Hérodote et Platon vinrent se faire initier aux mystères. — Héliopolis a d’autres souvenirs encore au point de vue biblique. Ce fut là que Joseph donna ce bel exemple de chasteté que notre époque n’apprécie plus qu’avec un sourire ironique. Aux yeux des Arabes, cette légende a un tout autre caractère : Joseph et Zuleïka sont les types consacrés de l’amour pur, des sens vaincus par le devoir, et triomphans d’une double tentation ; car le maître de Joseph était un des eunuques du roi. Dans la légende souvent traitée par les poètes de l’Orient, la tendre Zuleïka n’est point sacrifiée comme dans celle que nous connaissons. Mal jugée d’abord par les femmes de Memphis, elle fut de toutes parts excusée dès que Joseph, sorti de sa prison, eut fait admirer à la cour de Pharaon tout le charme de sa beauté.

Le sentiment d’amour platonique dont les poètes arabes supposent que Joseph fut animé pour Zuleïka, — et qui rend certes son sacrifice d’autant plus beau, — n’empêcha pas ce patriarche de s’unir plus tard à la fille d’un prêtre d’Héliopolis, nommée Azima. Ce fut un peu plus loin, vers le nord, qu’il établit sa famille à un endroit nommé Gessen, où l’on a cru retrouver les restes d’un temple juif bâti par Onias.

Je n’ai pas tenu à visiter ce berceau de la postérité de Jacob ; mais je ne laisserai pas échapper l’occasion de laver tout un peuple, dont nous avons accepté les traditions patriarcales, d’un acte peu loyal que les philosophes lui ont durement reproché. — Je discutais un jour au Caire sur la fuite d’Égypte du peuple de Dieu avec un humoriste de Berlin, qui faisait partie comme savant de l’expédition de M. Lepsius :

« Croyez-vous donc, me dit-il, que tant d’honnêtes Hébreux auraient eu l’indélicatesse d’emprunter ainsi la vaisselle de gens qui, quoique Égyptiens, avaient été évidemment leurs voisins ou leurs amis ?

— Cependant, observai-je, il faut croire cela ou nier l’Écriture.

— Il peut y avoir erreur dans la version ou interpolation dans le texte ; mais faites attention à ce que je vais vous dire : les Hébreux ont eu de tout temps le génie de la banque et de l’escompte. Dans cette époque encore naïve, on ne devait guère prêter que sur gages... et persuadez-vous bien que telle était déjà leur industrie principale.

— Mais les historiens les peignent occupés à mouler des briques pour les pyramides (lesquelles, il est vrai, sont en pierre), et la rétribution de ces travaux se faisait en oignons et autres légumes ?

— Eh bien ! s’ils ont pu amasser quelques oignons, croyez fermement qu’ils ont su les faire valoir et que cela leur en a rapporté beaucoup d’autres.

— Que faudrait-il en conclure ?