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— La nature les fournit. On n’aurait même que de l’eau de mer… ce serait la même chose, et cela épargnerait le sel.

— Et dans quoi mettrez-vous la poule ?

— Ah ! voilà le plus ingénieux. Nous versons de l’eau dans le sable fin du désert... autre ingrédient donné par la nature. Cela produit une argile fine et propre, extrêmement utile à la préparation.

— Vous mangeriez une poule bouillie dans du sable ?

— Je réclame une dernière minute d’attention. Nous formons une boule épaisse de cette argile en ayant soin d’y insérer cette même volaille ou toute autre.

— Ceci devient intéressant.

— Nous mettons la boule de terre sur le feu, et nous la retournons de temps en temps. Quand la croûte s’est suffisamment durcie et a pris partout une bonne couleur, il faut la retirer du feu, la volaille est cuite.

— Et c’est tout ?

— Pas encore ; on casse la boule passée à l’état de terre cuite, et les plumes de l’oiseau, prises dans l’argile, se détachent à mesure qu’on le débarrasse des fragmens de cette marmite improvisée.

— Mais c’est un régal de sauvage !

— Non, c’est de la poule à l’étuvée simplement. Mme Bonhomme vit bien qu’il n’y avait rien à faire avec un voyageur si consommé ; elle remit en place toutes les cuisines de ferblanc et les tentes, coussins ou lits de caoutchouc estampillés de limproved patent de London.

— Cependant, lui dis-je, je voudrais bien trouver chez vous quelque chose qui me soit utile.

— Tenez, dit Mme Bonhomme, je suis sûre que vous avez oublié d’acheter un drapeau. Il vous faut un drapeau.

— Mais je ne pars pas pour la guerre !

— Vous allez descendre le Nil… vous avez besoin d’un pavillon tricolore à l’arrière de votre barque pour vous faire respecter des fellahs. Et elle me montrait, le long des murs du magasin, une série de pavillons de toutes les marines.

Je tirais déjà vers moi la hampe à pointe dorée d’où se déroulaient nos couleurs, lorsque Mme Bonhomme m’arrêta le bras.

— Vous pouvez choisir ; on n’est pas obligé d’indiquer sa nation. Tous ces messieurs prennent ordinairement un pavillon anglais ; de cette manière, on a plus de sécurité.

— Oh ! madame, lui dis-je, je ne suis pas de ces messieurs-là.

— Je l’avais bien pensé, me dit-elle avec un sourire. J’aime à croire que ce ne seraient pas des gens du monde de Paris qui promèneraient les couleurs anglaises sur ce vieux Nil, où s’est re-