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élevé le modeste cippe funéraire dont il s’agit était native de Byzance, le texte grec nous l’apprend, mais il ne nous apprend rien de plus, si ce n’est par ses caractères paléographiques, qui prouvent irréfragablement que cette Irène fut à peu près contemporaine d’Alexandre-le-Grand.

À cette époque, il existait au Pirée, ainsi que le prouvent les monumens, une petite colonie phénicienne composée sans aucun doute de négocians obscurs qui étaient venus se fixer sur ce point pour faire fortune, en procurant aux Athéniens les articles de commerce que leur fournissait leur pays natal. Les uns étaient de Citium et d’autres de Sidon, comme Irène était de Byzance. Quant à celle-ci, c’était très probablement une marchande de parfums ou de tissus, d’une naissance douteuse, puisqu’on ne pouvait écrire sur sa tombe le nom de son père, ainsi que le voulait l’usage constamment suivi par les Phéniciens. Dès-lors, demander si l’histoire fidèle de la jeunesse de cette femme n’est pas tout entière dans la phrase obtenue par M. Duvivier, c’est, je le crains, poser une question à laquelle il n’y a d’autre réponse à faire que celle-ci : Je n’en sais rien. Il y a bien eu, il est vrai, une Irène de Byzance à laquelle cette histoire en style biblique s’appliquerait tant bien que mal : c’est l’impératrice de ce nom, contemporaine de Charlemagne ; mais évidemment M. Duvivier n’a pu avoir en vue cette princesse, qui a vécu douze cents ans au moins plus tard que son homonyme, l’humble marchande du Pirée, et pour laquelle, dans tous les cas, on ne se fût pas avisé de graver à Athènes une épitaphe en langue phénicienne qui ne se parlait plus nulle part. Quant à la traduction adoptée par tous les devanciers de M. Duvivier, elle a été obtenue tout naturellement, en lisant de l’hébreu très correct, et sans le torturer en quoi que ce fût, car tout le monde sans exception a traduit : Irène, citoyenne de Byzance, et personne, que je sache, n’a eu la malencontreuse idée de faire de cette femme un homme. Le mot hébreu baal, citoyen, fait tout naturellement au féminin baalet, citoyenne, et chacun a lu baalet. Ce qui peut-être a donné lieu à cette petite erreur de fait, c’est la vue de la traduction latine, Erene, civis Byzantia, donnée par Gesenius, et qui comporte tout aussi bien le sens citoyenne que le sens citoyen. Du reste, Gesenius est à l’abri du reproche qui lui est imputé d’avoir fait d’une femme un homme, car il dit fort explicitement : Baalet, non domina est, sed civis (Bürgerin), — Baalet ne veut pas dire dame, mais citoyenne (bourgeoise). — Je n’ajouterai plus qu’un mot. Le texte grec dit : Irène de Byzance, et rien de plus ; le texte phénicien, transcrite l’aide de l’alphabet que rejette M. Duvivier, fournit les mots : Irène, citoyenne de Byzance. Si donc cet alphabet doit être mis au rebut, le hasard peut une fois de plus être accusé d’opérer des rapprocheImens bien extraordinaires.