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quiconque parvient à mettre en lumière un petit coin de l’immense tableau de l’histoire humaine.

De tous les peuples de l’antiquité, le plus illustre fut le peuple phénicien, car son berceau fut le berceau de toutes les sciences et de tous les arts, qu’il alla semant partout avec ses colonies. Les flottes phéniciennes couvraient les mers bien long-temps avant qu’une autre nation songeât à leur disputer le monopole commercial, habilement constitué au profit de Tyr et de Sidon. Partout où ils soupçonnaient des richesses à exploiter, les Phéniciens s’empressaient de créer des comptoirs où leurs navires étaient assurés de trouver un refuge et des trésors. Aux comptoirs succédaient bientôt des bourgades, puis des villes, des cités florissantes, nobles et glorieux jalons de la civilisation. Sans doute le peuple qui sut concevoir et exécuter de si grands desseins eut une littérature et des archives historiques, où vinrent s’enregistrer pendant une longue suite de siècles tous les faits relatifs aux premiers âges de l’histoire du monde ; malheureusement ces faits, nous sommes condamnés à les ignorer toujours, parce que de la littérature et des archives phéniciennes il ne nous reste rien, absolument rien, que des lambeaux traditionnels recueillis de loin en loin par des écrivains étrangers. Quelques pauvres pierres écrites, quelques médailles ont seules été sauvées dans le naufrage immense de cette civilisation primitive, et il s’est trouvé des hommes qui, sans autre élément de succès qu’une ardente curiosité, ont essayé de déchiffrer ces médailles et ces pierres, soutenus par l’espoir de découvrir, pour prix du travail le plus rebutant parfois, le plus ardu toujours, la nature de la langue qui avait régné si long-temps en dominatrice sur toutes les plages du monde ancien. Il n’est permis à personne de contester l’intérêt qui s’attache à de pareils efforts. Dire ce qu’on a dépensé d’intelligence depuis le milieu du XVIe siècle pour résoudre le difficile problème soulevé par les monumens phéniciens et puniques, ce ne sera pas, nous le répétons, écrire un des moins curieux chapitres de l’histoire de l’érudition moderne ; mais, avant de parler de l’étude des monumens, voyons d’abord ce que l’antiquité nous avait légué de documens propres à servir de fil conducteur dans cette recherche si difficile d’une langue et d’une écriture perdues.

Il est un écrivain ancien dont les paroles ont un grand poids lorsqu’il s’agit de fixer la nature de la langue phénicienne : c’est saint Augustin, dont l’autorité ne saurait être récusée, puisqu’il était d’origine punique, ainsi qu’il le dit lui-même, et puisqu’il vivait au milieu d’une population dont l’idiome usuel n’était autre chose que la langue punique. Voici quelques passages extraits de ses écrits : « Les deux langues (hébraïque et punique) ne diffèrent pas beaucoup entre elles. — Les Hébreux appellent le Christ Messie, et ce mot se retrouve dans la langue punique, comme un très grand nombre d’autres, et même presque tout