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et des demi-mots. Leur bonne foi ne raffine rien, n’omet rien, ne déguise rien, et accuse avec excès tous les détails de l’idée qu’il faudrait indiquer à peine.

Voilà ce qu’on peut dire de leurs comédies, à peu près nulles comme œuvres d’art, alors même qu’elles ont une certaine valeur comme satires de mœurs. En les envisageant sous ce dernier rapport, elles nous révèlent un état social très différent du nôtre : une noblesse dont on sape avec ardeur l’influence, en rappelant à tout propos Combien ses prétentions exclusives cachent de nullité, de mesquines ambitions, de vues intéressées et sordides ; une classe moyenne qui s’enrichit chaque jour davantage, chaque jour s’égale aux plus sourcilleux représentans de l’aristocratie, et les vénère cependant encore assez pour vouloir, coûte que coûte, faire partie de la caste privilégiée, titrée, puissante. Nous voyons, dans ces comédies, le négociant enrichi, the retired cit, comme on l’appelle, n’aspirer qu’à l’honneur de se mettre, lui et ses guinées, à la disposition du lord ruiné qui, tout en acceptant cette alliance inattendue, tout en l’exploitant sans scrupule, se moque à peu près ouvertement de son humble et candide acolyte. Rappelons-nous que ces traits de mœurs nous appartenaient quand Molière écrivit son Bourgeois gentilhomme, celle de toutes ses pièces où il a le plus franchement et le plus nettement caractérisé le régime aristocratique avec tous ses abus, et d’où ressortent les conclusions les plus directement hostiles à cet état de choses. Or, il est évident que Molière fut entendu et compris. Il est évident que M. Jourdain, averti par cet admirable censeur de tous les travers, de toutes les sottises humaines, cessa bientôt de vouloir frayer avec les gentilshommes qui se raillaient de ses gauches imitations, avec les belles marquises qui soupaient aux dépens de sa bourse et s’égayaient aux dépens de ses madrigaux si péniblement fourbis. Ce jour-là, il prêta l’oreille aux philosophes qui se chargeaient de lui commenter les lois générales de l’humanité ; ce jour-là, il s’occupa sérieusement des droits de l’homme, des abus féodaux, de l’oppression monarchique, de cette religion sublime dont on était parvenu à fausser le but, et qui, faite pour consoler les malheureux, pour mettre les faibles sous l’égide de la fraternité humaine, était devenue un instrument de despotisme, une loi d’immobile résignation. Et lorsque M. Jourdain, qui avait fait sa rhétorique sous le comte Dorante, eut passé quelque temps à écouter les leçons de Voltaire, — ce grand « maître de philosophie, » — nous savons tous ce qui advint de son émancipation.

Que faudrait-il donc pour que l’âpre satire des comiques anglais contre les grands seigneurs de ce temps eût le même résultat que celles de Molière contre les marquis et les comtes du temps de Louis XIV ?