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En voici une qui est plus conforme à l’humeur naturellement douce des indigènes du Pérou : un moine qui était lié d’amitié avec un Indien, et à qui celui-ci avait apporté des blocs du minerai le plus riche, le supplia de lui faire connaître le lieu où il puisait ces trésors. L’Indien, y ayant consenti, vint le prendre une nuit avec deux de ses amis, lui banda les yeux et le porta sur ses épaules au milieu des montagnes. Là, il le déposa, et, enlevant le bandeau, lui dit de regarder. Le moine se trouva au fond d’un petit puits creusé dans un minerai éblouissant de richesse. Après qu’il se fut extasié et eut pris ce qu’il en put mettre dans un sac, on lui banda les yeux de nouveau, et il lui fallut se laisser reporter chez lui. Tout le long du chemin, il eut l’idée de semer les grains de son chapelet dans l’espoir de s’y reconnaître ; mais, quelques heures après qu’il était rentré, l’Indien paraît dans sa chambre, en lui disant : Mon père, voici votre chapelet que vous aviez perdu, — et il lui rendit une poignée de grains.

Les mêmes sentimens subsistent encore. L’Indien couve toujours contre les descendans des Espagnols la même haine et la même défiance. Quand il travaille pour le compte du blanc, il n’épargne aucune ruse pour dérober les meilleurs morceaux de minerai, et ne se prête à rien de ce qui pourrait rendre l’exploitation plus fructueuse. Le blanc, de son côté, ne prend aucune précaution pour mettre la vie du mineur à l’abri des éboulemens, et c’est ainsi que dans les entrailles de la terre péruvienne ont eu lieu de lamentables aventures.

Exploitées d’une manière inepte et barbare, les mines de Pasco rendent, dit-on, aujourd’hui jusqu’à 300,000 marcs (69,000 kil. d’argent) communément, contrebande comprise. C’est à peu près 16 millions. Le gouvernement espagnol, à cause du plus grand éloignement peut-être, entreprit et accomplit moins pour l’avancement de l’industrie péruvienne que pour celle du Mexique. Cette cause n’a pas peu contribué à borner le développement de la métallurgie du Pérou. J’ai déjà cité pour le Mexique la magnifique route qui, de la Vera-Cruz, gagne à Perote le sommet de la Cordillère ; c’est un des fruits du régime colonial, et le régime de l’indépendance, au lieu de la prolonger, l’a à demi détruite. Au Pérou, les conquistadores trouvèrent les chaussées établies par les incas, de Cuzco, leur capitale, à Quito, sur cinq cents lieues de long, à travers monts et vaux : c’était comparable aux plus belles voies romaines. Des communications pareilles dirigées des mines sur le littoral changeraient la face du pays en général, de l’exploitation des mines en particulier. Les Espagnols, après avoir laissé les chaussées des incas se détruire, n’en établirent point de nouvelles ; mais du moins ces constructions des premiers maîtres de la contrée, dont les débris sont visibles en cent endroits et étonnent l’Européen, montrent ce qu’on pourrait faire. Pour les populations, c’est un souvenir, et pour les