où les élans se réfugient. Le gîte fut, de tout point, pareil à celui de la veille ; mais l’habitude en avait émoussé les rigueurs, et, le froid n’étant pas tout-à-fait aussi vif, les deux gentlemen, avant de s’endormir, firent tranquillement leur lecture du soir. Le gibier leur était promis pour la matinée suivante.
En effet, sur la neige à demi fondue, — car la température s’était tout à coup élevée, — on discernait les traces des élans, et, sur l’écorce des arbres, les vestiges de leurs morsures. On fut bientôt à leur piste, et les chiens donnèrent alors avec d’autant plus de fureur, qu’on avait pris soin, ne l’avons-nous pas dit ? de les affamer depuis quarante-huit heures. Notre chasseur, s’ échauffant, de hâter le pas ; mais à chaque instant, embarrassé de ses chaussures inusitées, il allait donner du nez contre terre, sans que les guides indiens, maintenant préoccupés de leur chasse, prissent le moindre souci de ces chutes réitérées. Lui-même n’y songeait guère, et ne craignit pas de s’élancer après un énorme moss-deer qui avait d’abord tenu tête aux chiens, mais que la vue des chasseurs ne tarda pas à mettre en fuite. À chaque bond, le pauvre animal enfonçait dans la neige ; ses pieds brisaient la glace qu’elle recouvrait, et, dans ses efforts pour se dégager, les angles tranchans de cet épais cristal pénétraient dans ses chairs dénudées. Aussi ses traces sanglantes devenaient de plus en plus irrégulières et dénonçaient son épuisement. L’épaisseur du bois le dérobait au chasseur, mais celui-ci distinguait sa respiration oppressée et pantelante parmi les éclats de la basse futaie dans laquelle l’orignal se frayait péniblement passage. De temps en temps il tombait et laissait un large sillon sur la neige profondément labourée ; puis, reprenant haleine, ri tentait encore un effort pour sauver sa vie. Enfin, au milieu d’une vallée profonde, sous des arbres séculaires et dépouillés, à cent pieds du sol, de toute ramure, la victime s’était arrêtée. Elle faisait face au chasseur quand il put la contempler, immobile, entourée des limiers ardens, qu’un seul mouvement de sa tête puissante écartait à vingt pas, mais qui revenaient aussitôt, les yeux enflammés et grinçant des dents, tourner autour de ce dédaigneux ennemi. À bout de forces, il n’essayait i)lus ni de résister ni de fuir : seulement on eût pu lire dans ses grands yeux noirs une sorte de prière muette qui semblait adressée à son bourreau. Elle ne l’arrêta point, et, visant à loisir, il l’atteignit en pleine poitrine. Enragé de douleur, l’animal bondit hors de la neige et s’élança vers son ennemi, qui, de nécessité, ne pouvant fuir, attendit ce dernier choc, dont il n’avait d’ailleurs rien à craindre. Frappé d’une seconde balle, l’orignal s’arrêta, chancela sur ses jarrets affaiblis, et tendit le cou. Un filet de sang coulait de sa bouche, sa langue pendait, et lentement, comme s’il se couchait pour dormir, il se laissa tomber sur la neige. Ni les chiens ni les indiens n’osaient encore se hasarder près de lui, craignant ses dernières