Le présenter à nos lecteurs est un devoir, une formalité indispensable; à défaut de son nom, faut-il au moins connaître son rang dans le monde, ses préjugés, ses opinions, quelque peu ses habitudes, et peut-être aussi sa tournure. Avec quelques soins, tout cela est possible. Ainsi, à plusieurs reprises, ce-personnage inconnu fait allusion à la majesté de son embonpoint développé par les années. La plaintive éloquence avec laquelle il signale les inconvéniens matériels inséparables d’une longue traversée ou d’une course rapide nous fait reconnaître un gentleman habitué aux comfortables recherches de la vie opulente. Partout il se trouve en rapport avec la meilleure compagnie, et notamment à Québec avec l’état-major de la garnison anglaise. Ceci, et quelques mots de son début où il se représente comme « obligé de s’embarquer, passager très contrarié, sur un incommode navire, » indiqueraient un employé du gouvernement. Quant à ses opinions, elles sont très franchement tories, anti-démocratiques, et l’égalité humaine, principe des constitutions modernes, lui paraît tout bonnement « un monstrueux sophisme, » — a monstrous fallacy. — rien que cela. Maintenant vous pourriez croire que nous allons avoir affaire à quelque Trollope mâle, détracteur haineux et aveugle de tout ce qui contrarie ses préventions politiques ou sociales. Détrompez-vous : le nouveau voyageur est homme de sens trois fois sur quatre; il ne ferme point les yeux à l’évidence; il ne conteste que ce qui est douteux pour lui. Si quelque fait éclatant vient à l’encontre de ses théories, il ne le reconnaît pas de bon cœur; mais, en murmurant, il le reconnaît, et c’est quelque chose. Ensuite, — et c’est quelque chose encore, — notre homme n’est pas exclusivement Anglo-Saxon. Il a parcouru l’Europe, vu Paris et Vienne, dormi à la belle étoile avec les chapelgorris du prétendant espagnol. À ce métier, si l’on ne perd pas absolument l’empreinte du caractère national et les idées plus ou moins étroites qui constituent l’esprit de race, on gagne une certaine tolérance nécessaire à quiconque veut profiter de tous les enseignemens d’un voyage bien fait.
En somme, et par avance, voulez-vous connaître les conclusions de cet observateur malgré lui, qui débarque indifférent et revient presque enthousiaste? C’est que l’Amérique, telle qu’il l’a vue, est déjà pour l’Angleterre une redoutable rivale, et que, d’ici à cinquante ans, si nulle dissension politique n’a brisé ce puissant faisceau des états confédérés, la jeune république sera de force à lutter victorieusement, soit par le commerce, soit par les armes, contre la vieille monarchie. Il compte, il est vrai, sur l’influence destructive de l’esprit démocratique pour arrêter cet essor prodigieux, et séparer à temps, en trois états diversement gouvernés, la grande et riche république; mais il n’a pas tellement foi dans ses prévisions et ses prophéties, qu’il ne conseille à l’Angleterre de limiter dès à présent, autant qu’elle le pourra, les accroissemens de