Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la plaine d’Embalek, si fameuse par la déroute des mameloucks. Du côté des jardins, on a construit un kiosque dont les galeries, peintes et dorées, sont de l’aspect le plus brillant. Là, véritablement, est le triomphe du goût oriental.

On peut visiter l’intérieur, où se trouvent des volières d’oiseaux rares, des salles de réception, des bains, des billards, et en pénétrant plus loin, dans le palais même, on retrouve ces salles uniformes décorées à la turque, meublées à l’européenne, qui constituent partout le luxe des demeures princières. Des paysages sans perspective peints à l’œuf, sur les panneaux et au-dessus des portes, tableaux orthodoxes, où ne paraît y aucune créature animée, — donnent une triste idée de l’art musulman. Toutefois les artistes se permettent quelques animaux fabuleux, comme dauphins, hippogriffes et sphinx. En fait de batailles, ils ne peuvent représenter que les siéges et combats maritimes ; des vaisseaux dont on ne voit pas les marins luttent contre des forteresses où la garnison se défend sans se montrer ; les feux croisés et les bombes semblent partir d’eux-mêmes, le bois veut conquérir les pierres, l’homme est absent. – C’est pourtant le seul moyen qu’on ait eu de représenter les principales scènes de la campagne de Grèce d’Ibrahim.

Au-dessus de la salle où le pacha rend la justice, on lit cette belle maxime : « Un quart d’heure de clémence vaut mieux que soixante-dix heures de prière. »

Nous sommes redescendus dans les jardins. Que de roses, grand Dieu ! Les roses de Choubrah, c’est tout dire en Égypte ; celles du Fayoum ne servent que pour l’huile et les confitures. Les bostangis venaient nous en offrir de tous côtés. Il y a encore un autre luxe chez le pacha, c’est qu’on ne cueille ni les citrons ni les oranges, pour que ces pommes d’or réjouissent le plus long-temps possible les yeux du promeneur. Chacun peut, du reste, les ramasser après leur chute. – Mais je n’ai rien dit encore du jardin. On peut critiquer le goût des Turcs dans les intérieurs, leurs jardins sont inattaquables. Partout des vergers, des berceaux et des cabinets d’ifs taillés qui rappellent le style de la renaissance ; c’est le paysage du Décameron. Il est probable que les premiers modèles ont été créés par des jardiniers italiens. On n’y voit point de statues, mais les fontaines sont d’un goût ravissant.

Un pavillon vitré, qui couronne une suite de terrasses étagées en pyramide, se découpe sur l’horizon avec un aspect tout féerique. Le calife Haroun n’en eut jamais sans doute de plus beau ; mais ce n’est rien encore. On redescend après avoir admiré le luxe de la salle intérieure et les draperies de soie qui voltigent en plein air parmi les guirlandes et les festons de verdure ; on suit de longues allées bordées de citronniers taillés en quenouille, on traverse des bois de bananiers dont la feuille transparente rayonne comme l’émeraude, et l’on arrive à l’autre bout du jardin à une salle de bains trop merveilleuse et trop