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Au milieu de la table était un vase hermétiquement fermé qui, lorsqu’on l’ouvrit, se trouva plein de sang encore frais. Il y avait aussi un coq d’or rouge émaillé de jacinthes qui fit un cri et battit des ailes lorsqu’on entra. Tout cela rentre un peu dans les Mille et Une Nuits ; — mais qui empêche de croire que ces chambres aient contenu des talismans et des figures cabalistiques ? Ce qui est certain, c’est que les modernes n’y ont pas trouvé d’autres ossemens que ceux d’un bœuf. Le prétendu sarcophage de la chambre du roi était sans doute une cuve pour l’eau lustrale. D’ailleurs, n’est-il pas plus absurde, comme l’a remarqué Volney, de supposer qu’on ait entassé tant de pierres pour y loger un cadavre de cinq pieds ?


VI. – LE HAREM D'IBRAHIM-PACHA

Nous reprîmes bientôt notre promenade, et nous allâmes visiter un charmant palais orné de rocailles où les femmes d’Ibrahim viennent habiter quelquefois –l’été. Des parterres à la turque, représentant les dessins d’un tapis, entourent cette résidence, où l’on nous laissa pénétrer sans difficulté. Les oiseaux manquaient à la cage, et il n’y avait de vivant dans les salles que des pendules à musique qui annonçaient chaque quart d’heure par un petit air de serinette tiré des opéras français. – La distribution d’un harem est la même dans tous les palais turcs, et j’en avais déjà vu plusieurs. Ce sont toujours de petits cabinets entourant de grandes salles de réunion, avec des divans partout, et pour tous meubles de petites tables incrustées d’écaille ; des enfoncemens découpés en ogives çà et là dans la boiserie servent à serrer les narghilés, vases de fleurs et tasses à café. Trois ou quatre chambres seulement décorées à l’européenne, contiennent quelques meubles de pacotille qui feraient l’orgueil d’une loge de portier ; mais ce sont des sacrifices au progrès, des caprices de favorites peut-être, et aucune de ces choses n’est pour elles d’un usage sérieux.

Mais ce qui surtout manque en général aux harems les plus princiers, ce sont des lits. — Où couchent donc, disais-je au cheik, ces femmes et leurs esclaves ? — Sur les divans. — Et n’ont-elles pas de couvertures ? — Elles dorment tout habillées. Cependant il y a des couvertures de laine ou de soie pour l’hiver. — Je ne vois pas dans tout cela quelle est la place du mari ? – Eh bien ! mais le mari couche dans sa chambre, les femmes dans les leurs, et les esclaves (odaleuk sur les divans des grandes salles. Si les divans et les coussins ne semblent pas commodes pour dormir, on fait disposer des matelas dans le milieu de la chambre, et l’on dort ainsi. — Tout habillé ? — Toujours, mais en ne conservant que les vêtemens les plus simples, le pantalon, une veste, une robe. La loi défend à tout homme comme à toute femme de se découvrir les uns devant les autres à partir de la gorge. Le privilège du