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cette race javanaise qui se nourrit d’une sorte de terre grasse, qu’on n’aurait peut-être pas pu se procurer au Caire. Ensuite j’envoyai chercher des ânes et je fis signe à l’esclave de prendre son vêtement de dessus (melayeh ). Elle regarda avec un certain dédain ce tissu de coton quadrillé, qui est pourtant fort bien porté au Caire, et me dit : Ana… habbarah !

Comme on s’instruit ! Je compris qu’elle espérait porter de la soie au lieu de coton, le vêtement des grandes dames au lieu de celui des simples bourgeoises, et je lui dis : Lah ! lah ! en secouant la main et hochant la tête à la manière des Égyptiens.


V. — L’AIMABLE INTERPRÈTE

Je n’avais envie ni d’aller acheter un habbarah ni de faire une simple promenade, il m’était venu à l’idée qu’en prenant un abonnement au cabinet de lecture français, la gracieuse Mme Bonhomme voudrait bien me servir de truchement pour une première explication avec ma jeune captive. Je n’avais vu encore Mme Bonhomme que dans la fameuse représentation d’amateurs qui avait inauguré la saison au Teatro di Cairo, mais le vaudeville qu’elle avait joué lui prêtait à mes yeux les qualités d’une excellente et obligeante personne. Le théâtre a cela de particulier, qu’il vous donne l’illusion de connaître parfaitement une inconnue. De là les grandes passions qu’inspirent les actrices, tandis qu’on ne s’éprend guère, en général, des femmes qu’on n’a fait que voir de loin.

Si l’actrice a ce privilège d’exposer à tous un idéal que l’imagination de chacun interprète et réalise à son gré, pourquoi ne pas reconnaître chez une jolie, — et, si vous voulez, même une vertueuse marchande, — fonction généralement bienveillante, et pour ainsi dire initiatrice, qui ouvre à l’étranger des relations utiles et charmantes ?

On sait à quel point le bon Yorik, inconnu, inquiet, perdu dans le grand tumulte de la vie parisienne, fut ravi de trouver accueil chez une aimable et complaisante gantière ; — mais combien une telle rencontre n’est-elle pas plus utile encore dans une ville d’Orient !

Mme Bonhomme accepta avec toute la grace et toute la patience possibles le rôle d’interprète entre l’esclave et moi. Il y avait du monde dans la salle de lecture, de sorte qu’elle nous fit entrer dans un magasin d’articles de toilette et d’assortiment, qui était joint à la librairie. Au quartier franc, tout commerçant vend de tout. Pendant que l’esclave étonnée examinait avec ravissement les merveilles du luxe européen, j’expliquais ma position à Mme Bonhomme qui, du reste, avait elle-même une esclave noire à laquelle de temps en temps je l’entendais donner des ordres en arabe.

Mon récit l’intéressa ; je la priai de demander à l’esclave si elle était