dis à son retour que je ne voulais plus l’employer que pour certains jours, que je ne garderais pas tout ce monde qui m’entourait, et qu’ayant une esclave, j’apprendrais très vite à échanger quelques mots avec elle, ce qui me suffisait. Comme il s’était cru plus indispensable que jamais, cette déclaration l’étonna un peu. Cependant il finit par prendre fort bien la chose, et me dit que je le trouverais à l’hôtel Waghorn chaque fois que j’en aurais besoin.
Il s’attendait sans doute à me servir de truchement pour faire du moins connaissance avec l’esclave ; mais la jalousie est une chose si bien comprise en Orient, la réserve est si naturelle dans tout ce qui a rapport aux femmes, qu’il ne m’en parla même pas.
J’étais rentré dans la chambre où j’avais laissé l’esclave endormie. Elle était réveillée et assise sur l’appui de la fenêtre, regardant à droite et à gauche dans la rue par les grilles latérales du moucharaby. Il y avait, deux maisons plus loin, des jeunes gens en costume turc de la réforme, officiers sans doute de quelque personnage, et qui fumaient nonchalamment devant la porte. Je compris qu’il y avait un danger de ce côté. Je cherchais en vain dans ma tête un mot qui pût lui faire comprendre qu’il n’était pas bien de regarder les militaires dans la rue, mais je ne trouvais que cet universel tayeb (très bien), interjection optimiste bien digne de caractériser l’esprit du peuple le plus doux de la terre, mais tout-à-fait insuffisante dans la situation.
O femmes ! — avec vous tout change ; — j’étais heureux, content de tout. Je disais tayeb à tout propos ; et I’Égypte me souriait. — Aujourd’hui il me faut chercher des mots qui ne sont peut-être pas dans la langue de ces nations bienveillantes. Il y avait bien un mot et un geste négatifs que j’avais surpris chez quelques naturels. Si une chose ne leur plaît pas, ce qui est rare, ils vous disent : Lah ! en levant la main, négligemment à la hauteur du front. Mais comment dire d’un ton rude et toutefois avec un mouvement de main languissant : Lah ! Ce fut cependant à quoi je m’arrêtai faute de mieux ; après cela je ramenai l’esclave vers le divan, et je fis un geste qui indiquait qu’il était plus convenable de se tenir là qu’à la fenêtre. Du reste, je lui fis comprendre que nous ne tarderions pas à dîner.
La question maintenant était de savoir si je lui laisserais découvrir sa figure devant le cuisinier ; cela me parut contraire aux usages. Personne, jusque-là n’avait cherché à la voir. Le drogman lui-même n’était pas monté avec moi lorsque Abd-el-Kérim m’avait fait voir ses femmes ; il était donc clair que je me ferais mépriser en agissant autrement que les gens du pays.
Quand le dîner fut prêt, Mustapha cria du dehors : Sidi ! — Je sortis de la chambre, et il me montra la casserole de terre contenant une poule découpée dans du riz.