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comprendra peut-être un jour, — mérite certainement la reconnaissance de tous les hommes.

Quand cette grande Alexandrie fut tombée, et sous les Sarrasins eux-mêmes c’était encore l’Égypte principalement qui conservait et perfectionnait les sciences où puisa le monde chrétien. — la domination des mameloucks a teint ces dernières clartés, et il faut remarquer que cette sorte d’obscurantisme où l’Orient est tombé depuis trois siècles n’est pas le résultat du principe mahométan, mais spécialement de l’influence turque. Le génie arabe, qui avait couvert le monde de merveilles, a été étouffé sous ces dominateurs stupides ; les anges de l’islam ont perdu leurs ailes, les génies des Mille et Une Nuits ont vu briser leurs talismans ; une sorte de protestantisme aride et sombre s’est étendu sur tous les peuples du Levant. Le Coran est devenu, par l’interprétation turque, ce qu’était la Bible pour les puritains d’Angleterre, un moyen de tout niveler. Les arts, les lettres et les sciences ont disparu depuis ce temps ; la poésie des mœurs et des croyances primitives n’a laissé çà et là que de légères traces, et c’est l’Égypte encore qui a conservé les plus profondes.

Aujourd’hui ce peuple opprimé si long-temps ne vit que d’idées étrangères ; il a besoin qu’on lui rapporte les lumières éparses dont il fut long-temps le foyer ; — mais avec quelle reconnaissance, avec quelle application studieuse il s’empreint déjà et se fortifie de tout ce qui vient de l’Europe ! Les chefs-d’œuvre de nos sciences et de nos littératures sont traduits en arabe et multipliés aussitôt par l’impression des milliers de jeunes gens élevés pour la guerre emploient à cette œuvre les loisirs de la paix. Faut-il désespérer de cette race forte avec laquelle Méhémet-Ali avait dans ces derniers temps reconquis et renouvelé l’ancien empire des califes, et qui, sans l’intervention européenne, aurait en quelques jours renversé le trône d’Othman ? On peut prévoir déjà qu’à défaut de cette gloire militaire, qui n’a laissé à l’Égypte que l’épuisement d’un grand effort trahi ; la civilisation et l’industrie occuperont les forces et les intelligences sollicitées à l’action dans un but différent. A Constantinople, les institutions récentes sont stériles ; au Caire, elles donneront de grands résultats lorsque plusieurs années de paix auront développé la prospérité matérielle.


II. – La vie intime à l’époque du Khamsin

J’ai mis à profit, en étudiant et en lisant le plus possible, les longues journées d’inaction que m’imposait l’époque du khamsin. Depuis le matin, l’air était brûlant et chargé de poussière. Pendant cinquante jours, chaque fois que le vent du midi souffle, il et impossible de sortir avant trois heures du soir, moment où se lève la brise qui vient de la mer.