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et décrètent la communauté des maris ; mais les scènes qui en résultent forcent bientôt de reconnaître la sagesse des lois qui avaient subordonné la souveraineté du peuple à des conditions de capacité, et la liberté des individus à l’inviolabilité de la propriété et à la perpétuité de la famille. — La religion grecque consistait surtout dans la croyance à l’ordre universel et dans une respectueuse soumission au destin ; pour beaucoup, cependant, l’inégalité des conditions était une occasion de blasphème, et le Plutus prouve qu’une égale distribution de richesses créerait à la société des impossibilités qu’elle ne saurait vaincre. — L’art n’était pas à Athènes, comme il a pu le devenir ailleurs, une superfluité à l’usage des gens d’esprit qui n’avaient rien à faire ; la dignité calme et résignée dans le malheur qu’il enseignait au peuple était la seule prédication religieuse du temps, et les sensibleries d’Euripide excitaient des attendrissemens nerveux qui remuaient trop profondément les entrailles, pour qu’il n’en sortît pas souvent des protestations contre l’histoire. Ses innovations n’abâtardissaient donc pas seulement des ames dont la force faisait la puissance et la sécurité de l’état, elles ruinaient la religion dans sa base : ce fut à titre de conservateur qu’Aristophane, les combattit avec un acharnement qu’on ne porte que dans les questions politiques. Il oppose dédaigneusement, dans les Grenouilles, la majesté monumentale et le sens profondément religieux d’Eschyle au larmoiement sentimental et aux banalités philosophiques de son faible successeur. Dans les Thesmophories, il s’attaque plus vivement encore à la nouvelle poétique ; il y raille avec une verve indignée l’abus qu’elle faisait de la faiblesse des femmes et de leurs douleurs ; il inventorie le matériel de l’émotion dramatique, les haillons du mendiant, la barbe blanche et le bâton du vieillard, et plus d’une fois sans doute la crainte d’un juge si austère et d’un parodiste si plaisant vint arrêter Euripide dans ses efforts pour abaisser le drame religieux jusqu’à la tragédie bourgeoise. On peut donc déjà conclure de l’inspiration élevée qui anime les comédies d’Aristophane que les Nuées ne sont ni une méchanceté personnelle ni un caprice de pure fantaisie ; si obscur que nous l’aient rendu le temps et les révolutions, cette comédie avait certainement un but social qui résultait de la civilisation de l’époque et de la constitution politique du pays.

La civilisation grecque avait commencé en Orient et en avait apporté l’omnipotence d’une autorité extérieure à l’homme, devant laquelle s’évanouissaient tout droit individuel et toute indépendance de la personne. A Sparte, au foyer de la race dorique, cet élément oriental avait même conservé toute sa vigueur primitive, et s’y montrait plus conséquent dans sa logique ; la famille était niée avec la même intrépidité que l’individu. L’homme y devint une sorte de vif-meuble appartenant en toute propriété à la patrie, et ne produisant, au lieu d’enfans, que de petits