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elle a aussi manifesté la volonté expresse d’éviter une enquête. La majorité a pensé que dans l’appréciation de la corruption tout était arbitraire et périlleux. Où s’arrêter dans une appréciation pareille ? Quelle est la limite qui sépare les sollicitations permises d’une brigue coupable ? Aussi entre les protestations des électeurs et les dénégations des candidats élus, le choix de la majorité n’a pas été douteux ; la majorité a cru sur parole les députés nommés, et elle a validé les élections. La chambre n’avait-elle pas cependant un moyen de contrôler, de vérifier les allégations portées devant elle ? N’avait-elle pas la voie de l’enquête ? c’est précisément ce moyen, cette voie, dont la majorité avait bien résolu de ne plus user. En 1842, la chambre avait ordonné une enquête parlementaire. Une commission, représentant le pouvoir de la chambre, avait entendu plus de soixante témoins ; elle avait cité devant elle des fonctionnaires, des magistrats, des agens du ministère des finances et du ministère de l’intérieur. Tout cela était nouveau, délicat, fécond en collisions qui pouvaient être fâcheuses entre le pouvoir exécutif et la souveraineté parlementaire. Dans plusieurs parties, le rapport de la commission était une sorte de tableau de mœurs où l’on voyait l’électeur cherchant à exploiter son vote, et se tournant vers le candidat dont le crédit et la fortune enflammaient le plus ses espérances. «  Il sortira de l’enquête, disait le rapport en terminant, de graves et sévères leçons. Il importe sans doute de surveiller et de contenir l’autorité quand elle s’écarte de ses devoirs, mais il n’est pas moins salutaire et urgent de réformer les mauvaises passions qui voudraient s’introduire dans la société. » En 1846, sommes-nous meilleurs ou pires qu’en 1842 ? Les mauvaises passions ont-elles gagné où perdu du terrain ? Sur ces questions, une nouvelle commission d’enquête nous eût donné des éclaircissemens auxquels il faut renoncer. La majorité n’a pas voulu d’une investigation qui, dans la dernière législature, lui avait créé des embarras.

Au reste, en validant les élections attaquées, la majorité a été impartiale ; elle n’a pas moins accordé ses suffrages à MM. Benoist et de Renneville qu’à M. le président Mater. Ce dernier a défendu son élection avec une singulière vigueur. On se rappelait, en écoutant sa parole nerveuse, incisive, spirituelle, qu’avant de présider la cour royale de Bourges il était à la tête de son barreau. M. de Renneville n’a pas porté à la tribune l’élan oratoire de M. Mater ; il a exposé les circonstances de son élection avec une sobriété de développemens que soutenait une énergie quelque peu hautaine ; on sent dans l’ancien secrétaire de M. de Villèle la conviction d’un homme de parti. M. de Renneville a dénié à la chambre le droit de s’immiscer dans ce qui avait pu se traiter de confidentiel et d’intime entre lui et ses électeurs : selon lui, la chambre n’est juge que de la régularité des opérations légales. Peut-être ne se fût-il pas exprimé avec tant de fermeté, s’il n’eût été certain, comme il l’a affirmé, que la pièce décisive où étaient consignés certains engagements envers les électeurs n’existait pas, ou plutôt, comme on le disait sur quelques bancs de la chambre, n’existait plus. Quoi qu’il en soit ; dans cette circonstance, aucun principe n’avait été compromis. M. le président Mater a terminé son remarquable discours en déclarant qu’il resterait député pendant toute la durée de la législature. M. de Renneville a surtout argumenté de l’impossibilité où l’on se trouvait de lui rapporter la preuve de l’engagement qu’il aurait pris envers ses électeurs de donner sa démission après deux années d’existence parlementaire. Ces deux députés ne pouvaient reconnaître