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nourrir. Le seul animal domestique qui y soit commun est le cabri de l’Inde, charmante petite gazelle qui s’en va bondir sur les grèves où croissent quelques plantes grasses et des arbustes aromatiques. Le lait qu’elle donne est très savoureux, et sa chair est assez délicate. Mais la manne de ce pays lui vient de la mer. Le poisson y est d’une abondance miraculeuse. Il se promène par troupes le long des rivages, il y forme des bancs mobiles, pénètre dans les canaux et frétille dans les bassins, C’est aussi de la mer que viennent à ces îles tous les oiseaux qui peuplent leurs bois et nichent dans leurs rochers. Bien loin, sur les grèves, la mer jette sa vie et ses trésors ; on y voit une foule de coquillages qui s’enfoncent dans le sable, et des crabes de toutes les formes, de toutes les couleurs, qui grouillent, montent, descendent et tracent leurs sillons sur la plage. Parmi ces différentes espèces de crustacés, il en est de vraiment curieuses. J’en ai remarqué une qui porte sur des pattes longues et menues une carapace arrondie de couleur terreuse et luisante, ayant la forme et presque la dimension d’un crâne humain. Je ne saurais dire quel fut mon saisissement lorsqu’apercevant pour la première fois cette bête hideuse qui était accroupie sous des feuilles, je la vis se soulever à mon approche et courir devant moi ; il me sembla voir une tête de mort qui marchait.

L’île Malé, dont je fis plusieurs fois le tour, est environnée d’une vieille muraille noircie par le temps, verdie par les flots, et qui suit fidèlement toutes les sinuosités du rivage, excepté dans l’enfoncement d’une petite baie fermée par des récifs qui forment là une défense naturelle. Cette muraille, composée de débris de madrépores, est garnie de plates-formes où l’on trouve de vieux canons rouillés. Tout cet appareil de guerre n’était pas très redoutable : les murs lézardés laissaient passer les plantes, des rideaux de lianes fermaient les embrasures, la végétation assiégeait les remparts et en hâtait la destruction. Des canons et des remparts sur ces pauvres îlots perdus au milieu de l’Océan indien ! Et d’où leur est venue la guerre ? Peut-on livrer bataille pour un peu de sable, quelques noix de coco et des coquillages ? — Après tout, ce sont là leurs provinces, leurs moissons et leurs tributs. L’histoire de ces pauvres insulaires est celle de tous les hommes ; les annales de leur petite communauté sont celles de nos grands royaumes, seulement elles n’ont point été écrites. Que vaut leur gloire dont personne ne se soucie ? L’étranger l’estime moins que le fruit de leurs cocotiers ; le voyageur lui préfère l’ombre de leurs arbres et l’eau de leurs fontaines. Il serait curieux cependant de mettre en parallèle avec nos prétentions vaniteuses les annales dédaignées de cette petite fourmilière.

Les Maldivois sont évidemment d’origine arabe, et ils ont gardé les principaux caractères de cette grande nation nomade. Ils ont à la fois de la sauvagerie et certaines formes de politesse, de la cupidité, l’amour