soit pas conservateur, un tel fait, sans analogue dans l’histoire de l’art européen, doit tenir à des raisons plus générales et plus profondes.
Dans un état sans force armée permanente, et dont le pouvoir central était divisé entre neuf fonctionnaires égaux que le peuple entier élisait pour une seule année, la tranquillité n’avait en réalité aucun autre appui que le respect des lois et l’autorité des mœurs. Mais d’insensibles modifications se glissent chaque jour dans les mœurs ; la législation n’obtient quelque puissance morale que par la durée, et à Athènes sa mobilité était extrême ; chacun pouvait demander l’abrogation des lois anciennes ou en présenter de nouvelles. L’amour des nouveautés rendait le peuple si favorable aux changemens pour le plaisir de changer, que, dans une de ses pièces, Aristophane donne pour raison à une proposition ridicule qu’il ne restait plus d’autre innovation à introduire dans la ville. L’état devait donc par principe chercher à maintenir la moralité publique dans le statu quo, et s’opposer de tout son pouvoir aux railleries qui la livraient au ridicule en plein théâtre ; il devait veiller sur la considération des lois et les protéger contre les bouffonneries factieuses qui les eussent vouées à un mépris inévitable. Les comédies d’opposition n’eussent pas été suffisamment libres ; de grandes difficultés en auraient entravé la représentation ; le prix leur eût été systématiquement refusé, et des peines sévères auraient souvent réprimé leurs périlleuses gaietés[1]. Ces attaques par derrière eussent d’ailleurs bien imparfaitement satisfait les ardentes convictions des démocraties ; le droit d’initiative appartenait à tous les citoyens, et il était loisible aux novateurs de donner à leurs opinions une forme plus sérieuse et plus efficace. Pour le parti conservateur, au contraire, la comédie était une arme défensive admirablement appropriée à sa position et à ses intérêts. A la puissance extra-légale des démagogues elle opposait le discrédit du ridicule, et tempérait par la plaisanterie le despotisme remuant de la démocratie ; elle combattait de front toutes les nouveautés, même intellectuelles, qui menaçaient de quelque danger les vérités officielles de l’état ou les bonnes habitudes ; parfois enfin, forte de ses intentions et d’un attachement incontestable à la constitution, elle ne craignait pas de railler les lois arrachées la veille aux aveuglemens de la passion, et de rappeler énergiquement les citoyens à la continuation du passé[2].
Ce caractère fondamental de la comédie grecque sert de lien à ces vives satires, si disparates en apparence, qui composent le théâtre d’Aristophane ;
- ↑ Aristophane lui-même fut condamné à 5 talens d’amende pour avoir insulté Cléon dans sa pièce des Chevaliers ; mais ce fut plutôt une vengeance politique qu’un châtiment légal.
- ↑ Elle était si essentiellement politique, que, pour faire comprendre à Denys de Syracuse le gouvernement des Athéniens, Platon lui envoya le théâtre d’Aristophane.