il courut détacher de la muraille un long bambou : c’était le réservoir d’un excellent vin de palme, qui coula bientôt dans une noix de coco que me présenta la jeune fille. Cette hospitalité sans prétention, le calme qui régnait dans cette cabane, cette femme si belle perdue dans une île sans nom, son innocence, sa bonté native, qui l’avaient élevée au-dessus des préjugés pour la rendre compatissante à la vue de l’étranger : toute cette scène d’un monde qui n’est point le nôtre me remplit d’une émotion que je n’avais jamais éprouvée. En sortant, j’avais le cœur attendri: je m’arrêtais à chaque instant pour admirer : c’était le ciel si bleu, si transparent, la mer qui se montrait à travers le feuillage ; une fleur que je n’avais point encore remarquée, un insecte qui passait en bourdonnant. Tout semblait me sourire, les arbres avaient pris une teinte veloutée et caressante. Si quelque voyageur vient après moi sur ce rivage, il accusera peut-être mes souvenirs de l’avoir embelli. Si son cœur est triste, ses yeux ne verront qu’une terre basse et sans couleur. C’est que la situation de l’ame modifie singulièrement l’aspect des lieux.
Les habitans du petit archipel Nilandou passent pour les plus industrieux de tous les Maldivois, et ils méritent leur réputation. Ils excellent surtout dans l’art de fabriquer les nattes ; celles qui sortent de leurs mains sont très recherchées sur toute la côte Malabare. Je les ai souvent contemplés à l’œuvre. Accroupis sur le sol, ils font rouler avec insouciance sous leurs doigts des pailles de toutes les couleurs : pour l’œil qui les suit, ce n’est que désordre et confusion ; mais que leurs mains s’arrêtent, que la natte se retourne, et vous serez tenté de proclamer que la patience est le génie. Figurez-vous les palmes les plus fraîches se développant, se recourbant sur elles-mêmes ; les dessins les plus gracieux, les plus réguliers, et dans l’ensemble le contraste le plus intelligent des couleurs et l’harmonie la plus parfaite des teintes : on dirait un de ces précieux tissus qui font la gloire de la vallée de Cachemire. Je n’avais à emporter de cette petite île que des images douces et des souvenirs touchans ; tout y semblait repos et bonheur, même le travail.
Au lever du soleil, je trouvai le capitaine de notre bateau et son équipage rassemblés au bord de la mer. Ils étaient en prière ; les uns avaient les mains croisées sur la poitrine, les autres avaient les bras étendus et tournés vers l’orient. Jamais ils ne manquent à cette pratique religieuse, et souvent je les ai vus abaisser leurs voiles, tourner la proue vers le levant, et demeurer immobiles jusqu’au moment où le soleil les inondait de sa lumière. La brise nous fut favorable ; nous longeâmes plusieurs terres, et, dans l’après-midi, je descendis sur une petite île inhabitée, où j’avais aperçu quelques oiseaux, qui vinrent presque se percher sur mon fusil ; leur retraite n’avait sans doute jamais été visitée que par les paisibles Indiens, qui venaient de temps en temps y faire la récolte des noix de coco. Il y avait dans ce lieu une cabane et des cendres. J’y trouvai aussi un instrument qui toujours marque le