d’un matelas, de plusieurs petits coussins, et enveloppé d’une tenture flottante, seul luxe de soierie qu’il y ait dans toute la maison. L’approche de ce lit est partout interdite aux étrangers, je ne sais pas précisément pour quel motif, mais je suppose que c’est la couche nuptiale. Aux solives sont attachés des instrumens de pêche, des nattes et divers objets en bois sculptés avec un soin minutieux. Dans un coin se trouvent quelques bassins de cuivre et les vases qui contiennent la provision d’eau de l’habitation.
Derrière le rideau s’ouvre l’appartement des femmes. On y voit plusieurs lits suspendus, et leur nombre, en général, révèle celui des épouses du propriétaire. Les femmes sont presque toutes grandes et bien faites, leurs traits ne manquent pas de régularité, et dans leurs grands yeux noirs un peu voilés règne cette douce langueur qui caractérise les Indiennes. Elles rejettent sur le derrière de la tête leur longue chevelure, qui y demeure attachée par un gros nœud. Leur vêtement n’est pas gracieux : c’est une espèce de chemise qui descend jusqu’à mi-jambe, laissant à découvert le cou et une partie des bras, et si serrée qu’elle prend toutes les formes du corps. Ce costume, d’une étrange pudeur, est très incommode, et permet à peine aux femmes de marcher ; leurs bras et leurs jambes sont ornés d’anneaux de cuivre, et souvent elles portent un collier de petites monnaies d’or ou d’argent.
Quant aux hommes, ils sont beaux et bien faits dans leur jeunesse ; mais ils ne gardent pas long-temps leur vigueur et leur beauté. Ils déclinent vite, et avant trente ans ils sont déjà flétris. Ce n’est pas le travail qui les a usés, car, lorsqu’ils ne sont mis en voyage, ils passent tout leur temps dans une complète oisiveté, le plus souvent bercés sur un siège mobile qui ressemble au plateau d’une balance : là, ils aspirent voluptueusement la vapeur parfumée du gourgouli, ou bien ils savourent en silence le bétel, promenant leurs regards rêveurs sur leurs femmes et leurs filles, occupées à tresser des nattes, à faire quelque tissu de soie ou de coton. La vie s’écoule heureuse et tranquille pour ces insulaires ; mais, pour goûter leur bonheur, il faut leur ignorance, et des hommes jetés par un naufrage sur cette terre sauvage, avec les goûts et les habitudes de l’Europe, trouveront peu de charme à cette existence paresseuse. L’île est si petite, qu’il suffit de quelques heures pour la parcourir ; la curiosité est bientôt satisfaite, et alors naissent le dégoût et l’ennui. L’étranger y sent à toute heure le plus cruel isolement : il a droit à l’hospitalité religieuse, mais il n’y trouve point la douce hospitalité de la famille. Pendant notre long séjour à Tinandou, deux habitans seuls osèrent lever pour nous le mystérieux rideau, nous introduire dans leur ménage, et ces pauvres sauvages furent peut-être considérés comme des esprits forts, des infidèles qui foulaient aux pieds la religion et les mœurs.