qui se conserve et s’accroît au contraire de la vie des créatures supprimées. La grande loi du monde est le sacrifice. Que les cœurs sensibles en gémissent, à la bonne heure ; mais cette loi, nous ne croyons pas qu’il soit au pouvoir d’aucun homme de la changer. Si la raison ne me disait que le sentiment de la douleur, c’est-à-dire de la privation, ne peut exister dans l’être infini, il y a des jours où je serais au contraire tenté de croire à un Dieu souffrant. Tout dans la création ne respire-t-il pas l’inquiétude immense et la mélancolie sans fin ? Le triste spiritus Dei ferebatur super aquas n’est encore qu’une faible image de cet esprit qui flotte à la surface de notre globe, recueillant le dernier souffle de tous les êtres nés pour mourir. Ce mystère de deuil cache sans doute un autre mystère d’espérance et de transformation ; mais, si l’horizon s’étend, le voile qui le couvre est bien sombre. Acceptons la Providence sous la figure où elle se présente à nous. Tous les systèmes inventés pour rapporter à un mauvais génie l’origine du mal et pour absoudre Dieu du sang versé sur la terre ne sont que d’ingénieux rêves qui se dissipent à la lumière de la science. Si, comme le veut M. Gleïzès, un état d’innocence a précédé le meurtre des animaux, si la chasse n’a as été le premier état de l’homme sur le globe, ce n’était ni scrupule, ni vertu, ni respect de la vie de la part de nos ancêtres, c’était impuissance. Ce que M Gleïzès appelle l’état d’innocence ne s’est conservé dans quelques peuplades sauvages que parce qu’elles manquent des armes et des moyens nécessaires pour attirer les animaux en leur possession. Une peuplade de l’extrémité de l’Afrique, les Boschismans, vit de racine quelques tribus des Andamènes, sauvages de la Nouvelle-Hollande, se nourrissent des fruits tombés des arbres et des coquillages ramassés sur le bord de la mer : la pêche et la chasse proprement dite leur sont inconnues. A l’avènement de l’homme sur la terre, il s’est passé quelque chose de semblable. Sa première nourriture a dû être végétale comme celle des singes : plus tard, par le penchant que nous avons tous à entourer notre berceau d’illusions flatteuses, l’homme a voulu voir un caractère d’innocence dans cette privation forcée de la chair des animaux qui a marqué les premiers temps de notre enfance sur le globe. Nous retrouvons les traces de cette abstinence involontaire dans les sociétés les plus anciennes ; il y a même aujourd’hui des provinces de France où le paysan est réduit toute l’année au régime des herbes.
La base sur laquelle l’auteur de Thalysie appuie la philosophie de son système est une base ruineuse passons maintenant au point de vue physiologique. L’alimentation exerce-t-elle une influence sur le caractère ? Assurément oui. Un acte qu’on renouvelle au moins deux fois le jour ne saurait être sans importance morale. M. Gleïzès ne manque pas de signaler l’état de colère comme l’état permanent des animaux destructeurs. Ces derniers souffrent eux-mêmes les maux qu’ils font souffrir