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point de vue de l’agriculture, c’est que toutes les denrées du sol étaient alors en France à bon marché, sans en excepter les produits minéraux, et que l’exportation en était considérable, tandis que, sous le nouveau système, tous ces produits sont chers, et que l’exportation, même en ce qui regarde les vins, a presque entièrement cessé.

En Angleterre, les événemens se présentent dans un ordre différent, sinon entièrement opposé. Dès le dernier siècle l’influence de l’aristocratie terrienne y avait fait interdire ou frapper de droits l’importation d’un grand nombre de produits naturels. De là une infériorité sensible en industrie, infériorité que ni les prohibitions à la frontière, ni les encouragemens prodigués par le gouvernement et la législature, ne parvenaient à pallier. C’est vers la fin du dernier siècle que l’Angleterre commence à modifier son système. En 1784, elle affranchit les laines brutes, et commence alors seulement à entrer en rivalité avec la France pour la fabrication des lainages ; elle affranchit ensuite successivement les fers, les lins et les chanvres, elle n’impose que de faibles taxes sur les cotons, matière exotique, enfin, dans les années 1820 à 1824, elle dégrève encore les soies brutes, qu’elle avait jusque-là, dans un intérêt probablement fiscal, frappées de droits assez élevés[1]. Elle maintient il est vrai, elle aggrave même, en 1815, les restrictions relatives aux denrées alimentaires ; mais, pour les matières brutes que le travail manufacturier réclame, elle les dégrève les unes après les autres, quand elle ne les affranchit pas entièrement. C’est grace à cette politique nouvelle qu’après avoir saisi, durant nos longues guerres, le sceptre des manufactures, que la France avait laissé tomber de ses mains, l’Angleterre a pu de jour en jour étendre et fortifier son empire.

A ne considérer la situation économique de ces deux pays que depuis vingt-cinq ou trente ans, l’action si différente de leurs tarifs s’y fait partout sentir. Favorisée par le bas prix des matières premières et des agens du travail, on comprend que l’industrie manufacturière anglaise a pu se développer, s’étendre avec avantage au dehors comme au dedans, en remplissant toutes les conditions d’une production à bon marché. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’elle se croie aujourd’hui assez forte pour braver à tous égards la concurrence étrangère. A vrai dire, l’étendue du crédit commercial a beaucoup ajouté à sa puissance en lui permettant d’agir dans le commerce extérieur avec cette grandeur de moyens qui est souvent une condition du succès ; mais le premier fondement de cette puissance n’en est pas moins dans les facilités

  1. Nous ne précisons pas les dates de ces affranchissemens successifs, parce que les choses n’ont pas toujours été faites en une seule fois, et aussi parce qu’il y a eu, s’il est permis de le dire, des va-et-vient. L’aristocratie faisait des concessions quand elle était trop faible pour les refuser, puis les reprenait quand elle se sentait plus forte, pour les rendre encore lorsque la roue politique avait tourné.