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qu’une existence assez chétive : faute énorme, erreur funeste qui déjà commence à porter ses fruits. La condition du peuple des États-Unis est encore à tout prendre fort supérieure à celle des peuples de l’Europe, car son état social résiste aux malheureuses tendances qu’on lui imprime. Osons le dire cependant, les beaux jours de l’Union américaine, les jours vraiment heureux, vraiment prospères, sont passés, nous ne disons pas sans retour, mais peut-être pour long-temps. Ce pays est sur une pente fata1e. A l’exemple des pays de l’Europe, dont il a pendant long-temps nargué les misères, il s’enfonce dans une ornière profonde d’où il ne sortira peut-être qu’après de longs malheurs.

Une fois entrés dans cette voie, il est malheureusement difficile que les Américains s’arrêtent. Outre que le préjugé national s’en mêle, et que ces mots creux ces mots barbares, système américain, industrie nationale, industrie indépendante, étourdissent et aveu1ent les esprits, il y a là une logique entraînante qui mène les gouvernemens et les peuples presque malgré eux. On commence par des droits modérés qui ne portent d’ailleurs que sur un petit nombre d’articles, et semblent néanmoins promettre un ample revenu ; mais ce revenu, l’industrie qui se forme à l’intérieur, derrière la ligne des douanes et sous l’égide des tarifs, l’industrie parasite le ronge et le dévore ; il s’affaire, il décline peu à peu ; pour le retrouver dans sa première ampleur, il faut arriver bientôt à atteindre un plus grand nombre d’articles et à augmenter les droits. Ainsi, par une pente naturelle, le régime restrictif s’étend et se renforce, et comme, à mesure qu’il gagne, le ver rongeur qu’il engendre ne fait que croître et grandir, on trouve sans cesse de nouvelles raisons pour le fortifier encore. Ajoutons que bientôt toutes les industries parasites qu’il a créées se coalisent pour soutenir et, défendre l’échafaudage qu’on a dressé[1].

A quelques égards, le système du Zollverein allemand ressemble à celui des États-Unis. Des deux côtés, c’est principalement aux articles manufacturés que le tarif s’adresse, bien qu’il y ait des deux parts aussi

  1. Depuis que ces lignes sont écrites, le nouveau tarif américain a été apporté en Europe. La cause libérale a triomphé cette fois dans le congrès, malgré l’opposition de M. Webster et de son parti. On a écarté le principe de la protection pour s’occuper spécialement du revenu. Cela changera-t-il sensiblement le cours des événemens ? nous ne le croyons pas ; D’abord la cause du libre échange n’a triomphé qu’à une faible majorité, et il suffit du moindre changement dans l’état numérique des partis pour que le principe contraire l’emporte à son tour. Ensuite, ce n’est guère que théoriquement que le nouveau tarif est plus libéral que l’ancien. Au point de vue pratique, les choses restent à peu près dans le même état, parce qu’on a persisté à percevoir le revenu sur un grand nombre d’articles dont le peuple américain possède ou peut produire les similaires. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, un tarif devient nécessairement protecteur ou restrictif, quand il frappe autre chose que des produits vraiment exotiques.