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y avait éprouvée depuis dix ans[1]. Et à quelle cause attribuer cette augmentation, si ce n’est aux droits établis précisément en 1833 sur les bestiaux étrangers[2] ? Ainsi, non-seulement les prix de ces denrées se maintiennent, quoi qu’il arrive, sous l’empire des tarifs protecteurs, mais encore ils s’élèvent rapidement de toute l’augmentation des droits.

Voilà donc déjà, dans les lois restrictives de l’importation étrangère, trois données parfaitement distinctes, qui engendrent autant de système différens : 1° droits d’importation simplement productifs de revenu, système le meilleur sans aucun doute, et qui serait même irréprochable si on savait en éviter les écueils ; 2° droits protecteurs sur les articles manufacturés, système vicieux, en ce qu’il impose aux consommateurs des taxes que le trésor public ne perçoit pas, tolérable pourtant en ce que ces taxes s’atténuent et doivent même disparaître entièrement dans l’avenir, 3° droits protecteurs sur les produits naturels, système le plus vicieux, le plus abusif de tous, système vraiment intolérable, car, outre qu’il atteint les objets les plus nécessaires à l’homme, comme il constitue au profit des producteurs des monopoles réels, les charges qu’il impose au consommateur se perpétuent sans aucun espoir d’atténuation dans l’avenir.

Cette énumération serait toutefois incomplète si nous ne distinguions encore, dans l’ordre des produits naturels, ceux qui sont destinés, comme matières premières ou comme agens du travail, à alimenter les ateliers industriels, de ceux qui servent directement à la nourriture de l’homme. Qu’on ne se récrie pas contre cette nouvelle distinction, elle est aussi importante que juste. A vrai dire, jamais ni législateur, ni économiste n’aurait conçu de prime abord la pensée de séparer, pour les soumettre à des régimes différens, ces deux genres de produits, qui sont, après tout, de même nature. Ce n’est guère qu’en Angleterre que cette anomalie se présente, et elle s’explique par la situation particulière et par l’histoire de ce pays. Là, depuis long-temps, deux puissances ennemies sont en présence : d’une part, l’aristocratie terrienne qui travaille à conserver les monopoles dont elle jouit ; de l’autre, la classe manufacturière, qui lutte avec une ardeur égale pour obtenir l’affranchissement des produits naturels que ses besoins réclament. Or, si jusqu’à ces derniers temps l’aristocratie a été généralement victorieuses dans ces luttes, il est pourtant vrai qu’elle avait déjà fait à sa rivale

  1. Rapport à M. Le ministre de l’agriculture et du commerce sur l’état de la production des bestiaux en Allemagne, etc. par M. Moll, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers. – Voyez aussi l’Association douanière allemande, par M. Henri Richelot.>
  2. Dans le tarif du Zollverein, le droit sur les bestiaux étrangers était, en 1843, de 5 thalers par tête pour les bœufs et taureaux, 3 thalers pour les vaches, et 2 pour les veaux. – Le thaler vaut 3 fr. 90 cent.