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les articles manufacturés et les produits du sol. Qu’en est-il résulté ? L’établissement de ces droits n’a pas empêché les manufactures anglaises d’arriver par degrés, quand elles ont obtenu la libre importation des matières premières, à niveler les prix de leurs articles avec ceux des articles étrangers, et même à les porter souvent plus bas. Pour les produits du sol, rien de semblable. De 1815 à 1846, le prix des blés, malgré des variations accidentelles, d’ailleurs très violentes et très brusques, s’est maintenu dans les mêmes limites, ou, s’il a baissé dans une certaine mesure, c’est uniquement parce que le droit a baissé[1]. On vante pourtant les progrès de l’agriculture anglaise, on en raconte des merveilles. On va jusqu’à dire que les champs cultivés en blé rendent, grace à l’abondance des engrais dont on les charge, 35 pour 1, tandis qu’ils ne rendraient que 6 pour 1 en France[2]. Eh bien ! en quoi les consommateurs ont-ils profité de ce progrès ? Ils n’y ont gagné ni l’abondance des blés, ni le bas prix. Même observation pour la viande de boucherie. Qui n’a entendu parler des belles races de bêtes à cornes, des innombrables troupeaux de moutons que l’Angleterre nourrit ? qui ne connaît, au moins par ouï-dire, ses magnifiques pâturages, si étendus, si gras, si verts ? On est émerveillé de ce qu’on raconte sur l’habileté acquise par les cultivateurs anglais dans l’élève et l’engrais des bestiaux. Avec tout cela, la viande est restée chère en Angleterre : nous n’avons pas appris que, jusqu’à la dernière réforme, le prix en ait baissé depuis trente ans, tant il est vrai que, pour ces sortes de produits, le progrès même n’a pas d’action sur les prix. Faut-il citer des exemples pris en France ? ils ne manqueront pas. Autrefois toutes les denrées du sol étaient, en France, à fort peu de chose près, au même prix que dans les états voisins. Depuis qu’on s’est avisé en 1814, et dans les années suivantes, de les charger de droits à l’importation, elles y sont devenues plus chères, et cela d’un chiffre sensiblement égal au montant des droits. C’est ce qu’on peut remarquer pour les blés, les bestiaux, les lins, les chanvres, les laines, et généralement tous les produits agricoles. Pareille observation pour la Belgique et pour les états du Zollverein, pays renommés, il y a quinze ans à peine, pour le bas prix des objets de consommation naturels, et où des droits mis à l’importation de ces denrées ont produit des effets exactement semblables. Aussi un de nos agronomes les plus distingués, M. Moll, signalait-il, en 1843, à la suite d’un voyage fait en Allemagne, par ordre de M. le ministre du commerce, l’augmentation rapide que le prix du bétail et de la viande

  1. Le prix soi-disant rémunérateur avait été fixé en 1815 à 80 shillings le quarter. Plus tard, après plusieurs remaniemens de la loi, on le fixa à 70 shillings. Il était à ce dernier taux, lorsque sir Robert Peel commença ses réformes.
  2. De l’Agriculture en France d’après les documens officiels, par M. L. Mounier, avec des remarques par M. Rubichon, Paris, 1846.