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Alexandrins eux-mêmes ; mais on a toujours négligé d’en prouver rigoureusement l’existence, et il n’y est fait nulle allusion, que je sache, sur aucun monument égyptien connu.

Il est encore une autre source à laquelle les Alexandrins auraient puisé les enseignemens de l’antique sagesse égyptienne : ce sont les livres d’Hermès. La source était abondante, à en croire Iamblique, qui porte le nombre de ces livres à vingt mille volumes ; mais je ne suis pas bien sûr qu’Iamblique ait vu les volumes et qu’Hermès les ait écrits. Hermès est le nom que les Grecs donnaient au dieu Thot, qui dans les scènes mythologiques retracées sur les monumens égyptiens, figure comme scribe des dieux. Un auteur réel aurait pu, j’en conviens, écrire les livres qui portent le nom de l’auteur à tête d’ibis ; cependant rien ne donne à penser que les Égyptiens eussent une bibliographie aussi savante. Les innombrables papyrus trouvés jusqu’ici sont, à une ou deux exceptions près, des rituels funèbres et non des traités de philosophie ; enfin, en admettant que d’anciens livres, attribués à Thot ou Hermès, aient jamais existé, une chose est certaine, c’est qu’ils n’ont rien de commun avec ceux que nous possédons en tout ou en partie, et qui ont été fabriqués dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Il est possible et même vraisemblable que ces livres hermétiques aient recueilli quelques idées anciennes[1] ; mais elles y sont noyées dans tant d’idées plus récentes et surtout d’idées platoniciennes, qu’on ne peut guère les en distinguer. Ainsi, la philosophie alexandrine a dû renoncer à cette tradition, qui la faisait procéder du dieu Thot en personne, c’est-à-dire de l’antique littérature sacrée des Égyptiens. Il faut qu’elle se contente de remonter à Platon et tout au plus à Pythagore ; mais Pythagore et Platon ne sont-ils pas eux-mêmes disciples de l’Égypte ? De Pythagore, on ne sait rien d’assuré ; pour Platon, s’il est certain qu’il vint à Héliopolis, on ne voit pas dans ses dialogues immortels qu’il en ait rapporté autre chose qu’un grand respect pour le bel ordre et l’antiquité de la société égyptienne, et peut-être un certain goût du symbolisme que pouvaient, du reste, avoir déjà répandu les mystères de la Grèce. Quand Platon veut exprimer ses idées philosophiques par des symboles mythologiques, il se sert des mythes grecs et non des mythes égyptiens, qu’il paraît n’avoir pas connus.

Ainsi ce n’est point par voie d’héritage que les philosophe alexandrins

  1. Par exemple, l’idée de la punition de l’ame par la métempsycose (Hermes apud Stobeum, l. I, c. LII, 44). Cette idée est bien égyptienne, témoin le tableau, plusieurs fois répété, qui représente le gourmand condamné par Osiris à renaître dans le corps d’un pourceau, au-dessus duquel on trouve un hiéroglyphe exprimant la gourmandise. Les régions des ames dont il est fait mention dans un autre fragment attribué à Hermès (ibid., 61) paraissent aussi offrir quelque rapport avec les régions de l’autre monde représentées dans les tombeaux et les rituels funèbres.