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fut lui qui, assiégé par les Alexandrins dans la grande bibliothèque, y mit le feu en voulant incendier la flotte égyptienne et les maisons occupées par l’ennemi. C’est ce qui a fait dire trop légèrement à quelques-uns qu’après César, Omar n’avait rien trouvé à brûler : mais ceci n’est point exact. On connaît l’existence de plusieurs collections qui se formèrent pour remplacer la première ; on sait qu’Antoine fit don à Cléopâtre de la bibliothèque de Pergame, rivale de la bibliothèque d’Alexandrie, et qui se composait de deux cent mille volumes Ces deux cent mille volumes paraissent avoir été déposés au Sérapéum dans cette bibliothèque, fille, comme on disait, de la collection mère et qui contint jusqu’à sept cent mille volumes ; mais cette seconde bibliothèque devait elle-même périr par d’autres mains que les mains musulmanes. Déjà atteinte deux fois par les flammes sous Marc-Aurèle et sous Commode, il est difficile qu’elle ait survécu à l’assaut que les chrétiens donnèrent, sous Théodose, au Sérapéum. Les livres entassés dans cet édifice durent être, au moins en grande partie, détruits par le zèle, armé ce jour-là contre tous les souvenirs du paganisme. Voilà donc les deux grandes collections de livres à peu près détruites, dispersées du moins avant l’arrivée d’Omar. Malgré ces faits incontestables, M. Matter déclare solennellement que l’existence et l’incendie d’une bibliothèque à Alexandrie, au temps d’Omar, est un fait à rétablir dans l’histoire. Il est permis de voir dans ces paroles une protestation contre une opinion que le XVIIIe avait émise avec trop de complaisance. Gibbon et d’autres écrivains du même temps. Peuvent avoir éprouvé quelque joie en voyant l’acte de barbarie le plus célèbre de l’histoire transporté des musulmans aux chrétiens, d’un calife à un évêque. Sans partager le moins du monde un tel sentiment, on est en droit de se refuser à cette réaction qui porte M. Matter à combattre aujourd’hui Gibbon à la suite d’écrivains animés, dit-il, d’un autre esprit. En accordant à M. Matter qu’il y a eu encore des livres à Alexandrie après la destruction du Sérapéum, puisqu’il y avait des littérateurs et des philosophes, on n’en peut pas moins maintenir, comme acquis à l’histoire, ce fait, que les deux grandes collections avaient été détruites avant l’arrivée d’Omar, l’une par César, l’autre par les chrétiens, et qu’un grand incendie, comme celui dont la tradition accuse calife arabe, était devenu impossible. A chacun ses œuvres ; que l’histoire soit juste pour tous, même pour Omar. Point de fanatisme même contre le fanatisme : la philosophie a eu le sien dans le siècle dernier ; il semble que la gloire du nôtre devait être de n’en connaître aucun.

Quant à la littérature alexandrine, elle fut purement grecque : tour à tour reproduction érudite et critique minutieuse des grands écrivains de la Grèce, elle ne sort pas de ce cercle. Le goût qui lui est propre et