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ne le fut jamais. Pour moi, je crois qu’une bibliothèque à la tête de laquelle furent placés Zénodote et Lycophron contenait peu de papyrus hiéroglyphiques ou hiératiques, et je n’imagine pas que de tels écrits aient figuré en grand nombre dans le catalogue de Callimaque. Je ne crois pas non plus qu’on rencontrât beaucoup de manuscrits indiens ou persans, beaucoup d’exemplaires du Ramayana sanscrit ou de l’Yacna de Zoroastre[1]. Entre les livres sacrés de l’Orient, les livres des Juifs s’y trouvaient seuls, non comme un code rapproché par les Ptolémées des codes égyptiens, dont l’existence est au moins douteuse, mais parce qu’il y avait cent mille Juifs à Alexandrie.

Si l’on en croyait certains documens récemment publiés[2], les bibliothèques d’Alexandrie auraient contenu des ouvrages traduits de tous les idiomes du monde en grec ; mais je doute de ce fait, que rien ne prouve. Les Alexandrins, en leur qualité de Grecs, estimaient peu et connaissaient encore moins les langues et les littératures étrangères. On peut donc affirmer que les trésors littéraires d’Alexandrie étaient surtout grecs. S’il s’y trouvait quelque chose d’oriental et d’égyptien, ce n’était pas dans la grande bibliothèque du palais qu’il eût fallu le chercher mais dans la bibliothèque du Sérapéum. Là, comme je l’ai dit, se conservait un reste de la vieille vie égyptienne ; là s’étaient glissés peut-être aussi, avec les superstitions orientales, quelques-uns des livres de l’Orient. C’est dans cette bibliothèque du Sérapéum que Tertullien[3] indique un texte hébreu de la Bible ; encore faut-il se rappeler que l’hébreu était une langue vivante à Alexandrie.

Puisque j’ai fait mention de deux bibliothèques je suis conduit à dire quelques mots du fameux incendie attribue à Omar Tout le monde connaît le récit qui a fait du nom d’Omar le symbole du fanatisme et de la barbarie. Après avoir subi, pendant des siècles, l’injure de cette renommée proverbiale, Omar a été déclaré presque innocent de l’incendie des livres d’Alexandrie ; on lui a, du moins, découvert, des complices qui l’ont devancé, et ont fait beaucoup plus de mal que lui. Ces complices sont illustres, et ne sont point des ennemis farouches de la civilisation ; ils s’appellent César et le christianisme.

César est le premier coupable, coupable involontaire, il est vrai ; ce

  1. Les oracles de Zoroastre sont cités parmi les livres orientaux qui se trouvaient dans la bibliothèque d’Alexandrie ; mais cet ouvrage n’appartenait pas plus à Zoroastre qu’à Orphée les hymnes orphiques ou à Pythagore Les vers dorés. Nous savons, grace à Anquetil et surtout à M. Burnouf, que les livres de Zoroastre contiennent un rituel et non des oracles.
  2. Un fragment grec donné par M. Cramer, et une scholie latine écrite au XVIe siècle publiée en partie par M. Osanne.
  3. Edition de l’abbé Migne, t. I, p. 55.