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sombre et colérique de la race égyptienne. Le grec était, à Alexandrie, la langue des tribunaux, on le voit par les papyrus, et la langue officielle, on le voit par les inscriptions. Le grec paraît seul sur les médailles jusqu’à Dioclétien. Philon, citant des mots grecs usités à Alexandrie dit qu’ils appartiennent à la langue indigène. Les fêtes et le culte public étaient grecs, comme le prouvent la description des fêtes d’Adonis dans les Syracusaines de Théocrite et la pompe solennelle, sous Ptolémée Philadelphe, décrite avec tant de détail par Athénée, vraie procession bachique dans laquelle figurent Dionysos, Sémélé, les Silènes, et où ne paraît aucune divinité égyptienne ; dans laquelle, trait caractéristique, sont représentées les quatre saisons de l’année grecque, tandis que l’année égyptienne n’en comptait que trois.

En somme, Alexandrie fut très grecque, assez juive, peu romaine presque point égyptienne. On a un vif sentiment de cette vérité dans cette ville, où il ne reste debout qu’une colonne, selon moi, grecque, et deux obélisques venus d’ailleurs et reposant sur une base grecque ; dans cette ville tournée vers la Grèce, qui regarde Athènes et Byzance, qui est à quelques jours de mer seulement du Péloponèse, de la Sicile, de la Grande-Grèce, et qui, voisine de la côte où fut Cyrène, chantée par Pindare, voit presque à son horizon la Crète, berceau de Jupiter. Ce que je viens de dire du caractère de la population, je le dirai de plusieurs institutions célèbres du musée, de la bibliothèque ; je le dirai de la philosophie, des lettres, des sciences, des arts, du christianisme, des hérésies tout cela était à Alexandrie presque purement grec, et beaucoup moins égyptien ou oriental qu’on ne l’a cru souvent.

Je commencerai par le muée. On connaît cette institution singulière, qui donna le premier modèle des académies. C’était plus qu’une académie ; les savans du musée ne se réunissaient pas seulement pour des séances. S’asseyant à la même table, vivant d’une vie commune dans une magnifique demeure, ils pouvaient, délivrés de tous les soucis de la vie, se consacrer sans partage à la culture des lettres. Cette institution était grecque d’origine. Démétrius de Phalère disciple d’Aristote, importa dans Alexandrie un musée à l’imitation de ceux de Platon et de Théophraste. Seulement, sous un roi, le musée fut moins libre que sous une république. Les satiriques du temps purent le comparer à une cage remplie d’oiseaux rares ; cependant il y était resté assez de l’esprit démocratique athénien pour qu’un philosophe du musée pût dire à un empereur que la république seule était raisonnable et que la monarchie était un gouvernement contre nature. Peut-être le spectacle de la réclusion du Sérapéum donna-t-il l’idée d’une résidence qui, dans le musée, fut toujours une faveur et jamais une contrainte ; c’est tout ce qu’on peut accorder aux influences égyptiennes. Je ne saurais aller plus loin, je ne saurais admettre avec l’auteur d’un travail approfondi sur l’école